Le caillou veut être lumière. Il fait luire en l'obscurité des fils de phosphore et de lune. Que veut-il ? se dit la lumière, car dans ses limites d'opale elle se retrouve elle-même et repart. Federico Garcia Lorca
Et la colombe a dit :
Je suis heureuse. Sous l'immense ciel,
Sur l'arbre en fleurs, près de la pomme rose
Pleine de miel, à côté du doux rejeton
Et humide des gouttes de rosée,
J'ai mon foyer. Et je vole
Avec mon désir d'oiseau,
De mon arbre bien-aimé
Jusqu'à la lointaine forêt,
Quand, à l'hymne agréable
Au réveil de l'Oriente,
L'aube se lève nue et montre au monde
La pudeur de la lumière sur son front.
Mon aile est blanche et soyeuse ;
La lumière la dore et la baigne
Et zéphyr le peigne.
Ce sont mes pieds comme des pétales de rose.
Je suis la douce reine
Qui berce son pigeon dans la montagne.
Au fond de la forêt pittoresque
Voilà l'alerce dans lequel j'ai construit mon nid ;
Et j'ai là, sous le feuillage frais
Un poussin nouveau-né sans pareil.
Je suis la promesse ailée,
Le serment vivant ;
Je suis celle qui porte la mémoire de l'aimée
Pour l'amant pensif ;
Je suis la messagère
Des rêveurs tristes et brûlants,
Qui voltigeront en disant l'amour
A côté d'une chevelure parfumée.
Je suis le lis du vent.
Sous le bleu du ciel profond
Je montre de moi le trésor beau et riche
Les presses et les galas ;
Le roucoulement dans le bec,
La caresse dans les ailes.
Je réveille les oiseaux chanteurs
Et ils entonnent leurs chansons mélodiques ;
Je me pose sur les citronniers fleuris
Et je renverse une pluie de fleurs d'oranger.
Je suis tout innocence, toute pure.
J'éponge les envies du désir,
Et je frémis à la tendresse intime
D'un frôlement, d'une rumeur, d'une palpitation.
Oh immense bleu ! Je t'aime. Parce que pour Flora
Tu donnes toujours la pluie et le soleil ;
Pour avoir été le palais de l'aube,
Tu es aussi le toit de mon nid.
Oh immense bleu ! J'adore
Tes ouvertures souriantes,
Et ce subtil brouillard de poudre d'or
Là où vont les parfums et les rêves.
J'aime les voiles, faibles, vagabondes,
Des brumes flottantes,
qui tendent en des airs affectueux
Le siège en éventail de mes plumes.
Je suis heureuse ! Parce que la forêt est à moi
En elle se trouve le mystère des nids ;
Parce que l'aube est ma fête
Et j'aime mon exercice et ma bataille.
Heureuse, car de doux désirs comblée
Réchauffer mes poussins, c'est ma fierté ;
Car dans les forêts vierges résonnent
La musique céleste de mon gazouillis ;
Car il n'y a pas une rose qui ne m'aime pas,
Ni de doux oiseau qui ne m'écoute pas,
Ni un seul chanteur qui ne m'appelle pas.
Oui ? dit alors un épervier infâme,
Et avec fureur il la met dans son gosier.
Puis le bon Dieu, là, sur son trône
( Alors que Satan, pour détourner sa colère
Applaudissait cet oiseau revêche)
A commencé à méditer.
Il a froncé les sourcils,
Et il pensait, en se rappelant ses vastes projets,
Et passant en revue ses points et ses virgules,
Que lorsqu'il a créé les colombes
Il n'aurait pas dû créer des éperviers.
C'est si beau ce qu'écrit Dario dans ces vers très bien construits. Petit essai pour vous donner un aperçu en français de cette beauté, mais c'est clair que c'est toujours mieux à lire en version originale. Contente d'avoir pu me procurer un vieux livre de Rubén Dario (en espagnol), il manquait à ma bibliothèque poétique en langue castillane. Si cela vous plaît, je traduirais un extrait des autres saisons.....
Primaveral
Mois des roses. Mes rimes vont
En ronde, dans la vaste selva,
Chercher du miel et des arômes
Dans les fleurs entrouvertes.
Viens, aimée. La grande forêt
C’est notre temple, là-bas ondule
Et flotte un parfum saint
D’amour. L’oiseau vole
D’un arbre à l’autre et salue
Ton front rosé et beau
Comme une aube ; et les chênes
Robustes, hauts, orgueilleux,
Quand tu passes agitent
Leurs feuilles vertes et tremblantes,
Et froncent leurs rameaux comme
Pour le passage d’une reine.
Oh ! Mon aimée ! Il est doux
Le temps du printemps.
******
Mes de rosas. Van mis rimas En ronda, a la vasta selva, A recoger miel y aromas En las flores entreabiertas. Amada, ven. El gran bosque Es nuestro templo, allí ondea Y flota un santo perfume De amor. El pájaro vuela De un árbol a otro y saluda Tu frente rosada y bella Como a un alba; y las encinas Robustas, altas, soberbias, Cuando tú pasas agitan Sus hojas verdes y trémulas, Y enarcan sus ramas como Para que pase una reina. ¡Oh, amada mía! Es el dulce Tiempo de la primavera.
C’est un 23 septembre que tu es parti Rejoignant la pampa marine de ton Isla Negra Dans le ciel Sans doute t’ont-ils aidé à partir Ils voulaient certainement que Plus vite Tu rejoignes ta demeure éternelle Pour y labourer les vagues révolutionnaires de l’océan Mais je ne t’oublie pas Tu es toujours là Pablo Neruda Ça oui, tu es toujours là D’ailleurs tu me suis comme mon ombre Je ne sais pourquoi ma destinée semble liée A la Tienne A ce point Imprégnée de ta parole Sollicitée par ta pensée Questionnée sans cesse par tes questions Je vis pour la poésie La poésie est en moi
Chaque jour je me rappelle tes mots
Pour chaque moment vécu
Par exemple aujourd’hui
Je me dis :
Ecrire, écrire
Pour ne pas mourir
Hier je repensais à tes chaussettes furieuses
Avant-hier à l’armure de l’artichaut
Je relisais ce passage d’une grande beauté sur l’ode à la vie
Je cite :
La vie nous attend
Tous
Qui aimons
La sauvage
Odeur de mer et de menthe
Qu’elle a entre les seins.
Et je me disais quelle injustice qu’on t’ai tronquée cette vie
Tu avais tant encore à nous dire
A nous apprendre
Les apprentis d’automne aimeraient avec toi
Galoper pour installer l’automne cette saison qui t’étais chère
Dans laquelle on sent tant d’arômes
On sent tant de messages de la nature qui entre dans son
Grand durcissement
L’odeur des figues
Des confitures de figues
De la tarte aux figues avec sa robe de miel de châtaignier
Envahi la maison
Tu vois je pense à toi
Toi si sensuel si terrien si amoureux des fruits de la terre-mère
Tu aurais aimé cette couleur de vin tanique et rusé
Tiré frais et dégusté tel quel au sortir du pis de la vigne
Tu aurais aimé et disserté sur la poésie des petits grains de figues
Tout collés au fond de la casserole
Comme des amoureux transis venant même
Se coller, sur les poignets
La vie est encore là pour nous
Cette grande illusion
Je t’écris aujourd’hui jour de ta fête qui n’en est pas une
Je ne pourrais pas éditer ce texte comme à l’habitude
Je passerais donc par des canaux différents
Ne me tairais pas, oh ! Non, il ferait beau voir
Que la poésie que toi et moi avons caressée dans le sens du poil
Se laisse titiller par l’adversité de cette vie d’illusions
Mais les grains, les graines semées sont semées dans du terreau solide
De la bonne terre franche qui a su tirer le bon grain de l’ivraie
Il faut continuer à s’exprimer il le faut
Il faut continuer à célébrer il le faut
L’histoire a écrit des pages sombres qu’aucun de nous doit oublier
La poésie, la musique, le folklore sont là pour hisser bien haut
Le devoir de mémoire
Tu es toujours là Pablo Neruda
Frais comme toujours, réel comme toujours
Vif comme une truite
Gai comme le congre au jus qui bouillonne
Accompagné de sa petite sauce que je ne connais pas.
Tu verrais où en est ton pays
Franchement je crois que tu retournerais sans doute
Labourer les vagues de l’océan du ciel à la recherche
D’une figure de proue des années 70 ces belles années
Trop courtes
Où l’espoir d’un monde meilleur pour le Chili
Pour le monde
Etait permis.
Ils ont fauché nos belles graines
Mais pas leur pensée, oh, non pas leur pensée
Resurgit la mémoire collective quand la foule retrouve
Le chemin de la rue
Les choses sont stagnantes inquiétantes et funestes
Mais un jour la conscience gagnera du terrain
Sans doute ne le vivrais-je pas
Sans doute est-ce encore long
La terre-mère aura-t-elle encore le temps d’attendre
Nul ne le sait
L’espoir est une figue qui s’habille de la robe violette du poulpe aux grands bras
L’espoir est une figue qui ouvre grand son cœur pour y révéler ses grains joyeux
L’espoir est un châtaignier qui a laissé choir au sol son trésor
Pour le partager, en attendant, toi Pablo Neruda :
Presente !
C'était en 2012, un commentaire de Serge sur le poème J'ai de Nicolás Guillén.
En relisant ces deux textes je me rends compte comme ils collent à l'actualité, à ce que le monde vit, ici et maintenant.
J'ai eu envie qu'ils soient, J'ai (Tengo) ma traduction de Guillén et L'effort humain de Prévert sur ce blog dédié à la poésie qui a du sens, qui est comme la chanson non crétinisante (je suis drôlement culottée d'écrire cela, quelle vantardise direz-vous).
Et c'est parce qu'ici on aimait bien en 2012 faire la joute des poèmes et ça fait du bien de se pencher sur la poésie pour y séparer le bon grain de l'ivraie.
Merci aux @migos de ce blog.
Oeuvre de Fernand Léger
"Quand nous parlons nous entendons
La vérité des charpentiers
Des maçons des couvreurs des sages
Ils ont porté le monde au-dessus de la terre
Au-dessus des prisons des tombeaux des cavernes
Contre toute fatigue ils jurent de durer"
Paul Éluard : Les Constructeurs.
À Fernand Léger
L’effort humain
n’est pas ce beau jeune homme souriant
debout sur sa jambe de plâtre
ou de pierre
et donnant grâce aux puérils artifices du statuaire
l’imbécile illusion
de la joie de la danse et de la jubilation
évoquant avec l’autre jambe en l’air
la douceur du retour à la maison
Non
l’effort humain ne porte pas un petit enfant sur l’épaule droite
un autre sur la tête
et un troisième sur l’épaule gauche
avec les outils en bandoulière
et la jeune femme heureuse accrochée à son bras
L’effort humain porte un bandage herniaire
et les cicatrices des combats
livrés par la classe ouvrière
contre un monde absurde et sans lois
L’effort humain n’a pas de vraie maison
il sent l’odeur de son travail
et il est touché aux poumons
son salaire est maigre
ses enfants aussi
il travaille comme un nègre
et le nègre travaille comme lui
L’effort humain n’a pas de savoir-vivre
l’effort humain n’a pas l’âge de raison
l’effort humain a l’âge des casernes
l’âge des bagnes et des prisons
l’âge des églises et des usines
l’âge des canons
et lui qui a planté partout toutes les vignes
et accordé tous les violons
il se nourrit de mauvais rêves
et il se saoule avec le mauvais vin de la résignation
et comme un grand écureuil ivre
sans arrêt il tourne en rond
dans un univers hostile
poussiéreux et bas de plafond
et il forge sans cesse la chaîne
la terrifiante chaîne où tout s’enchaîne
la misère le profit le travail la tuerie
la tristesse le malheur l’insomnie et l’ennui
la terrifiante chaîne d’or
de charbon de fer et d’acier
de mâchefer et de poussier
passée autour du cou
d’un monde désemparé
la misérable chaîne
où viennent s’accrocher
les breloques divines
les reliques sacrées
les croix d’honneur les croix gammées
les ouistitis porte-bonheur
les médailles des vieux serviteurs
les colifichets du malheur
et la grande pièce de musée
le grand portrait équestre
le grand portrait en pied
le grand portrait de face de profil à cloche-pied
le grand portrait doré
le grand portrait du grand divinateur
le grand portrait du grand empereur
le grand portrait du grand penseur
du grand sauteur
du grand moralisateur
du digne et triste farceur
la tête du grand emmerdeur
la tête de l’agressif pacificateur
la tête policière du grand libérateur
la tête d’Adolf Hitler
la tête de monsieur Thiers
la tête du dictateur
la tête du fusilleur
de n’importe quel pays
de n’importe quelle couleur
la tête odieuse
la tête malheureuse
la tête à claques
la tête à massacre
la tête de la peur.
L’effort humain - Extrait de Paroles, Jacques Prévert
La poésie de toujours qui a toujours le sens et la mesure et puis les circonstances. Tengo, c'est universel.
Avec cette traduction mienne, parce qu'à présent que je peux lire les textes originaux, je les saisis tellement mieux, au plus près, il me semble de la parole de l'auteur, aussi, Tengo, j'en ai deux versions différentes, l'une sur mon blog cocomagnanville que vous connaissez, très belle, enjolivée ai-je envie de dire, l'autre dans un de mes livres sur Guillén, traduite par Claude Couffon qui était un traducteur renommé des auteurs latino-américains dont Neruda et qui connaissait bien Guillén mais dont la version pour le coup me semble au contraire trop simplifiée.
Je coupe entre les deux, et je traduis comme je le lis, ce n'est certes pas académique c'est certainement de la traduction anarchique, mais c'est comme ça que je fonctionne, parce qu'il me semble que c'est bien de l'écrire comme on le sent à la lecture.
J'ai
Quand je me vois et je me touche,
moi, Jean sans Rien hier encore,
et aujourd'hui Jean avec Tout,
et aujourd'hui avec tout,
je tourne les yeux, je regarde,
je me vois et me touche
et me demande comment cela a pu être possible.
J’ai, voyons voir,
j’ai le plaisir d’aller dans mon pays,
propriétaire de ce qu’il y a en lui,
regarder de près ce que là autrefois
je n’ai pas eu et ne pouvais avoir.
Sucre puis-je dire,
Monts puis-je dire,
Ville puis-je dire,
Armée puis-je dire,
miens déjà et pour toujours tiens, nôtres,
et un immense rayonnement
d’éclair, d’étoile, de fleur.
J’ai, voyons voir,
j’ai le plaisir d’aller
moi, paysans, ouvrier, homme simple,
j’ai le plaisir d’aller
(c’est un exemple)
à la banque et parler avec le directeur,
non pas en anglais,
non pas en monsieur,
mais en lui disant compañero comme on le dit en espagnol.
Dédicaces au salon du livre à Paris Par Ji-Elle - Travail personnel, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=10087638 Un auteur que j'aime particulièrement pour la raison q...