Elle paraissait, la poésie
Etre jeune
Etre neuve toute neuve
Alors qu’elle sortait d’une cave
Où l’exil l’habillait d’un regard de tendresse ;
Alors qu’elle venait d’une île où
Ne poussaient que des cailloux
Où l’on faisait transporter des cailloux
Casser des cailloux aux poètes
Qui n’avaient pas voulu renier leurs valeurs
Elle avait pu survivre enterrée sous des pierres
Cachée dans de petites caches où elle est probablement encore ;
Elle paraissait légère la poésie alors
Qu’elle arrivait tout droit du front
On l’avait écrite sur un morceau de journal
Où un jour avait surgi
Comme éclairé par une bombe
Elle avait surgi comme une flamme que l’on protège
Pour pouvoir, oui, pour pouvoir
La partager avec ceux que l’on aime
C’était une poésie qui disait « Je t’aime »
Sans doute pour la dernière fois
C’était une poésie dans laquelle on avait mis
Des vers tirés tout droit des entrailles
Où la fleur était absente et où l’on voulait surtout
Qu’elle soit.
Elle paraissait insouciante, la poésie
Pourtant on la hissait dans chaque coin du monde
Comme un étendard des luttes des opprimés
Comme une chanson à moitié
Oui, à moitié car elle disait sans dire
Pour déjouer la censure.
Elle était amusante la poésie quand on disait Prévert
Pourtant elle était surtout sérieuse et quand on disait Eluard
Elle était douce-amère :
Elle était voyageuse, la poésie
Quand elle servait de compagne à l’exil ;
L’exil :
La force des mots qui savent pourquoi ils sortent
Pourquoi ils s’expriment
Pourquoi ils existent
Car c’est dans l’exil que l’homme réalise ce qu’il perd
Cela lui paraît tout à coup plus beau
Et la poésie se couche, toute nue
Dans la beauté
Elle n’a pas honte, non, comme elle n’a pas honte, la poésie !
Elle se sent à sa place
Car nue elle est, née comme la nature du monde
Et si l’on vient par exemple
Cacher un petit brin de sa nudité avec une.....voyons voir....
Une fougère
C’est comme lui offrir la plume et l’encre pour qu’elle s’écrie
Encore
Pour qu’elle s’écrive
Encore.
Ah ! poésie, ne cesse jamais d’accompagner nos luttes
Ne cesse jamais de te coucher toute nue dans la soupe de nos vers
Tu te retournes et la soupe devient caviar d’aubergine
Tortilla et tamales pour nourrir la faim de poésie des hommes.
Carole Radureau (09/05/2022)
avec cette jolie fougère du Vivarais de Serge pour illustrer ce petit blabla :