........souvenirs d’enfance......
Mon père disait : « mitigées » cochon d’inde
Parce que, comme lui, le cochon d’inde
Nous avions, certainement, mes sœurs et moi
Quelques petites taches de couleur
Réparties, non pas sur notre robe (notre pelage)
Mais au-dedans de nous.
Parce que, comme lui, le cochon d’inde
Nous n’étions pas ce que nous donnions à voir
C’est-à-dire que nées en Normandie
Nous n’avions pas l’étiquetage 100% normandes.
Le cochon d’inde n’était pas originaire de l’Inde.
Comment cela ?
Le cochon d’inde était un pur produit d’Amérique
Mais l’Amérique n’était pas un nom convenable
En ce sens qu’il provenait d’un nom de colonisateur (Amerigo Vespucci).
Alors si l’on rend les choses correctes cela donne :
Le cochon d’inde c’est le cuy
L’Amérique c’est Abya Yala (en langue guna).
Voilà : on se sent mieux ainsi
Parole de cuy.
Quel rapport à tout ceci ?
Sur ma robe de cochon d’inde je demande :
Le demi-sang auvergnat
De cette Auvergne
Qui, dans la bouche de ma grand-mère normande
Me semblait une exagération, une globalisation
Une espèce de melting-pot de tout le sud de la France !
« Tu as du sang auvergnat ma petite-fille » me disait-elle
Elle en était fière pour moi !
De cette Auvergne qui me semblait le bout du monde
Nous, qui ne voyagions pas (au-delà des frontières des départements)
St Etienne, représentait mon 1er voyage dans le lointain, très lointain : l’exotisme, quoi !
Découvrir l’Auvergne en 1976 (année caniculaire)
Cela confirmait la notion d’exotisme.
Cette Auvergne-là m’apportait-elle les cheveux foncés et les yeux noisette
Peut-être un peu de ma fougue ?
Sur ma robe de cochon d’inde, je demande :
Le quart de sang normand, de cette Normandie véritablement
Réelle car lieu de vie, d’enfance, d’adolescence
Ni rêve, ni songe, juste Normandie à vivre au quotidien,
Evidence
Avec le patois dont on ne sait s’il ne mêlait pas plusieurs patois
Cauchois, rouennais, brayon, qui le dira ?
Aucun héritage directement observable par l’inconnu
Ni yeux bleus, ni cheveux blonds, aucune trace de l’ancêtre Viking apparent
(cela saute une génération)
Seulement la vérité de la vie et quelques souvenirs à faire remonter :
La fierté d’une grand-mère qui n’en demandait pas tant :
Qu’elle est belle ma Normandie ! disait-elle
Avec ses prés bien verts, ses vaches paissant à l’ombre des pommiers
Et sa pluie redondante rebondissant qui la faisait critiquer à tout va !!
Qu’elle est belle la Normandie de ma grand-mère
Avec sa simplicité, sa générosité, ses maisons à colombages
Son odeur de cidre dans les rues
L’impression d’intemporel, de monde arrêté à jamais
L’impression que rien ne changera
Que certain matin de l’année tu sentiras le picotement de la bruine
Comme une petite musique de pluie
Que parfois sur les trottoirs s’entasseront
Les résidus de la presse, embaumant l’air
La Normandie n’est plus ce qu’elle était
La canicule de 1976 est-elle passée par là ?
Sur ma robe de cochon d’inde je demande :
Le quart breton (en non le quatre quart)
Le quart de l’inconnu, trop tardivement connu
Après 40 ans d’occultation comme une page trop lourde à tourner
C’était peut-être la plus belle des taches de ma robe !
Celle que nous ne revendiquions que par un nom : Kerhervé.
La Bretagne dans l’histoire de la famille n’avait pas laissé une trace digne
De toute façon mon grand-père ne disait rien
Par lui, nous ne savions rien
Il semblait ne rien vouloir conserver
Pour lui, il n’y avait pas grand-chose à dire, il était breton de par son père
Mais il était normand par la naissance, la Normandie patrie de l’exil
Seule ma grand-mère faisait vivre le sang breton
C’est l’héritage du grand-père maternel
Porté par la grand-mère maternelle, la normande !
Cette tache de ma robe est la plus mystérieuse
Une histoire de bannissement, de dépossession de terres
Jamais revendiquées par la suite : page tournée. Décès. Fin.
Tout était accepté. Nul dégât. Ou peut-être pas si j’en parle.
Tout ceci saute, comme les attributs du phénotype, les générations.
La robe du cochon d’inde n’était pas celle qui marie
L’exotisme africain aux steppes de Mongolie
C’était plus local, plus intime, unissant 3 régions
Pour autant autrefois, ces régions étaient indépendantes
Riches en histoire, en évènements, en conquêtes
Où l’homme de la base vivait au gré des mouvements
Dont il n’était pas à l’origine
Subissant,
S’adaptant,
Survivant quoi qu’il en soit
Faisant preuve de l’intelligence
De la créativité
De la sagesse populaire.
Sur cette robe qui n’est pas un échiquier
Je ne suis pas celle qui doit choisir
Ce qui doit ou non me convenir
Je suis partie de ce grand tout qui rythme mon chemin de vie
Mes choix
Me donne une feuille de route pour ce qui est de la compréhension.
Ceci est bien flou.
J’écris avec 3 plumes qui sont mon héritage direct
Un jour j’ai la muse auvergnate ou bien ardéchoise
Je grimpe à l’assaut des sucs et la trempe dans l’encre de volcans
Un matin, je me lève avec la plume des monts d’Arrée
Que je trempe dans l’eau de l’ancienne misère puisée dans les tourbières
Parfois je revendique une plume cauchoise historisante
Plongée dans l’encrier de la mémoire des mots.
Pourtant tout au fond de moi je suis éloignée de tout cela
Je suis, ou plutôt, je me sens
La fille du cochon d’inde
Comme lui, je me revendique d’Inde ou plutôt d’Abya Yala
Mon sang vibre de ce terroir immense et profond
La cordillère pour grand-mère
Le lac Titicaca pour grand-papa
Le Pérou pour évidence
L’Am-latine pour demeure de mon âme, de mes mots
On ne sait pas d’où cela vient
Tout le monde s’interroge
Ce n’est pas seulement un choix
C’est une vocation.
Vous l’aurez compris ceci dont je parle c’est
La vocation du cochon d’inde.
Carole Radureau (08/01/2022)