Le poète dit au revoir aux oiseaux

Publié le 31 Janvier 2024

Poète provincial,
oiseleur,
Je vais et je viens à travers le monde,
désarmé,
sans les autres, en sifflant,
soumis
au soleil et à sa certitude,
à la pluie, à son langage de violon,
à la syllabe froide de la rafale.

Oui oui oui oui oui oui 
Je suis un oiseleur désespéré,
je ne peux pas me corriger
et même si je ne suis pas invité
les oiseaux à la tonnelle,
au ciel
ou à l'océan,
à leur conversation, à leur banquet,
je m'invite moi-même
et je les traque
sans préjugés :

chardonnerets jaunes,
grives noires,
sombres cormorans pêcheurs 
ou merles métalliques,
rossignols,
colibris éclatants,
cailles,
aigles inhérents
aux montagnes du Chili,
loicas au poitrail pur
et sanguinolent
condors courroucés
et des merles,

peucos immobiles, suspendus au ciel,
diucas qui m'ont éduqué avec leur trille,
oiseaux de miel et de fourrage,
de velours bleu ou de blancheur,
oiseaux couronnés d'écume
ou simplement vêtus de sable,
oiseaux pensifs qui interrogent
la terre et picorent son secret
ou attaquent l'écorce du géant
ou ouvrent le cœur du bois
ou construisent avec la paille, l'argile et la pluie
la maison de l'amour et du parfum
ou doux jardiniers
ou voleurs
ou inventeurs bleus de la musique
ou témoins tacites de l'aube.

Moi, poète
populaire, provincial, oiseleur,
j'ai fait le tour du monde à la recherche de la vie :
d'oiseau en oiseau, j'ai connu la terre ;
j'ai reconnu où volait le feu :
la précipitation de l'énergie
et mon désintérêt a été récompensé
car, bien que personne ne m'ait payé pour cela
j'ai reçu ces ailes dans mon âme
et l'immobilisme ne m'a pas arrêté.

Pablo Neruda (Arte de pájaros) traduction carolita

 

Rédigé par caro et hobo

Publié dans #Aragonite

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H
Traduire un poème est un exercice compliqué, mais très intéressant et très prenant<br /> c'est très réussi<br /> c'est bien de le rendre accessible aux non Hispanophone
Répondre
C
Merci Serge, tu sais c'est un des poèmes qui fait partie du recueil Arte de pájaros dont j'avais traduit déjà sur ce blog tous les poèmes sur les oiseaux en particulier et pour lesquels j'avais fait des dessins qui me servent à présent pour illustrer d'autres traductions que je fait sur cocomagnanville à propos des mythes sur les oiseaux dans les cultures indigènes, en l'occurrence avec ces dessins-là, ça colle parfaitement avec les oiseaux des Mapuche puisque Pablo était originaire d'Araucanie. Le chili a donné des noms communs à ses oiseaux familiers qui sont des noms d'origine mapuche ce qui fait que l'on a des noms qui résonnent tendrement comme loica, queltehue ou diuca.....
A
Je peine à faire le lien entre oiseleur et poète qui me semblent incompatibles...
Répondre
C
C'est un problème de traduction car le mot pajarero est difficilement traduisible dans le sens où je pense qu'il est utilisé par Neruda. Quand cette situation se produit dans des textes de géopolitiques, je laisse le mot dans sa langue mais ici dans le poème cela ne serait pas parlant. Tu sais, à l'époque de Pablo, oiseleur n'était pas connoté, lui-même a récupéré une fois un oiseau exotique pour le garder chez lui et il ne s'est pas acclimaté et il est mort, il en parle dans un poème. A cette époque, il y a 70 ans les choses n'étaient pas vues sous le même angle qu'à présent.