Epître aux poètes de l’avenir
Publié le 3 Décembre 2022
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Peut-être demain les poètes demanderont ils
Pourquoi n’avez-vous pas célébré le charme des filles ;
Peut-être demain les poètes demanderont-ils
Pourquoi vos poèmes
Etaient-ils de longues avenues par où surgissait la colère en
Flammes ?
Je réponds que de tous côtés on entendait les pleurs,
De tous côtés nous encerclait un mur de vagues noires.
La poésie allait-elle être
Une colonne solitaire de rosée ?
Quand elle devait être un éclair incessant.
Je vous le dis :
Tant que quelqu’un ici-bas souffrira,
La rose ne pourra pas être belle ;
Tant que quelqu’un regardera le pain avec envie,
Le blé ne pourra pas trouver le sommeil ;
Tant que les mendiants pleureront de froid dans la nuit,
Mon cœur ne pourra pas sourire.
Tuez la tristesse, poètes.
Tuons la tristesse en la rouant de coups de bâton.
Il existe des choses plus importantes
Que de pleurer l’amour des soirées perdues ;
La rumeur d’un peuple en éveil
Est plus belle que la rosée.
Le métal flamboyant de sa colère
Est plus beau que la lune.
Un homme vraiment libre
Est plus beau que le diamant.
Parce que l’homme s’est réveillé
Et que le feu a fui sa prison de cendre
Pour incendier le monde où sévit la tristesse.
Manuel Scorza (Les imprécations, 1955, traduction de Claude Couffon)