Langue de grès, dents de granite (Bain tellurique)
Publié le 28 Novembre 2020
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Qaanaaq et le fjord d'Inglefield
Langue de grès
Collant une histoire comme un timbre
Sur l’enveloppe terne de la vie
Dents de granite qui déchiquettent
Une étiquette
Quand semble profonde la matrice
Pourtant si proche là dans la bouche.
Remué
Le sang de terre ;
Secouée
La minéralité ;
Dans la substance
Dans la couleur
Dans le toucher
Dans la senteur
Chaque tripe de terre-mère
Chaque grain dans l’éboulis
Sert une palette humaine
Riche en stimuli.
On écrira là-dessus
On poétisera là-dessus
On étudiera là-dessus
Surtout
On vivra là-dessus
Car ce plancher sur lequel nos pas
Dessinent un chemin
C’est du costaud
Couche après couche
La lasagne écrit son propos millénaire
Et certains savent les lires, les décompter,
Les deviner, les détailler, les entreprendre.
Ce sont des tranches de vies qui s’ignorent
Ce sont des paysages minéraux qui semblent inconsistants
Ils n’ont pas l’éclat d’un exotisme voyant
Ils ont un éclat des profondeurs
Que savent reconnaître les amoureux de pierre
De la pierre dans le sang, des veines en granite
Des cheveux d’opale, des ongles en silex
L’homme minéral est un trésor pour la terre
Comme le vin l’est aussi car ce qu’il retranscrit
C’est la vérité des siècles
Car ce qu’il révèle c’est la poésie de la tectonique.
Carole Radureau (28/11/2020)
Inspiré par la lecture du livre de Jean Malaurie, Hummocks I.
Extrait d’Hummocks I de Jean Malaurie
« L’espace aspire »
Dans mon échelle sensorielle, le granite est la pierre primordiale, virile. A l’opposé, la craie est une roche en devenir ; elle n’a pas connu l’alchimie du feu de la terre. Elle est impubère. Plus tard, en avril, mai et juin 1951, sur la Terre d’Inglefield, j’ai ressenti, sous mes semelles de phoque, le gneiss, le granite, le quartzite, contact rugueux sur un socle fort, le socle des socles : l’archéen. Il a pour lui la duré. Pierre des pierres, le granite exprime le mystère des forces telluriques préhumaines. A l’archéen, le commencement des commencements. J’aime palper, caresser le grain granitique. Il m’arrive de gratter avec l’ongle ses paillettes de mica. En ce pays austère, elles sont pour moi l’ultime expression du luxe. Le grès, malgré sa couleur mortifère, grise et froide m’apaise. Les apparences anthropomorphiques des hummocks minéraux suscitent des mouvements de pensée de tous ordres : mythiques, héroïques, érotiques. Les schistes feuilletés, le gneiss recristallisé, c’est l’enfant de l’alchimie d’une forge monstrueuse ayant métamorphosé la roche primordiale étirée par la tectonique des plaques. Le basalte des dykes, au noir volcanique ? Il me réchauffe ; mes yeux scrutent les parois de ces murailles antiques. J’y vois une réplique des enceintes de l’Enfer de Dante (…)