Nouveautés à découvrir de Pablo Neruda
Publié le 23 Avril 2016
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Deux livres à conseiller à ceux qui aiment lire Neruda.
Le premier que j’ai trouvé aux éditions Le temps des cerises est une version française de Chanson de geste, Canción de gesta, un grand poème qui était encore inédit en français.
Pablo l’a écrit alors qu’il était à bord du paquebot Louis Lumière au printemps 1960 et l’a conçu comme une épopée : c’est celle du combat de l’Amérique latine pour la liberté, dans les caraïbes plus particulièrement.
Ce poème salue la révolution cubaine qui vient d’avoir lieu en 1959, les luttes démocratiques au Nicaragua, il proteste contre le sort de Puerto Rico, Puerto pobre (port misère) comme il le nomme.
Cette version bilingue est fort utile pour qui commence à déchiffrer la langue espagnole mais c’est aussi une ouverture. En effet, je comprends déjà les nuances que ne permettent pas la traduction et je prends beaucoup de plaisir à lire, lire et relire ce livre en espagnol ainsi que celui qui suit.
En effet, pour moi comprendre la langue de Pablo et des autres poètes hispaniques, comprendre également la langue qui a été imposée aux peuples d’Abya Yala, c’était une nécessité que je me devais d’accomplir . J’avais tellement envie de me mettre à leur niveau, de les traduire, de les accueillir sur le seuil de ma vie en leur tendant les bras à ma façon.
Ce livre qui célèbre Cuba et tout ce qui a pu profiter d’avancées progressistes en suivant l’exemple de la révolution cubaine en Amérique latine est important en tant que devoir de mémoire en ces heures troubles où les pays progressistes tombent les uns après les autres sous les coups de butoir pilotés par les yankees. Depuis la mort de Chavez, une brèche s’est creusée, évidente et elle a profité aux semeurs de troubles appuyés par des médias internationaux à leurs ordres.
Même si tout n’est pas parfait ni conforme à nos attentes, les pays qui s’étaient dotés de présidents de « gauche » pour en finir avec les dictatures, la pauvreté et toutes les misères dues à la colonisation ont malgré tout apporté autre chose que ce dont des gouvernements de droite peuvent produire pour les peuples. Certes, je ne me sens pas vraiment proche de ses gouvernants en dehors d’un ou deux car ma connaissance des peuples indigènes et de leurs soucis dans les pays concernés ne me font pas voir de réelles avancées pour eux et c’est ainsi en même temps qu’en tant que défenseure de l’environnement que je me permets de les juger.
Pour autant le retour à de la droite corrompue et aux ordres des USA ne peut apporter que plus de misère, il n’est que de regarder l’exemple du Mexique ,du Guatemala et de la Colombie.
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Le deuxième livre s’appelle Tes pieds je les touche dans l’ombre, poèmes retrouvés.
Ce titre reprend le début d’un des poèmes qui ont été retrouvés au cours d’un travail d’archive et qui avaient échappés certainement à la relecture de Matilde. La fondation Pablo Neruda les a regroupés en un volume qui comprend également des facs similés de la main de Pablo.
Ces textes ont été écrits entre 1956 et 1973, la plupart étaient sans doute destinés aux odes élémentaires.
La traduction est bien différente de celle dont nous sommes habitués, celle de Claude Couffon ce grand traducteur de la langue, grand connaisseur des poètes. Il nous a quitté en 2003 et l'on mesure encore à peine la place vacante qu'il laisse.
Ces hommes-là, fidèles transcripteurs de poésie, inlassables traceurs de mots et de la vérité (celle du poète) sont des dons de la vie et on les oublie un peu trop souvent.
Sans eux, je n'ose imaginer ce que nous aurions perdu : avec Couffon, c'est une partie de l'oeuvre de Neruda, mais il a traduit également Nicolas Guillen, un autre grand poète de la même époque, Rafael Alberti un grand ami de Pablo, Miguel Angel Asturias, Gabriel Garcia Marquez, l'écrivain, Luis Mizón, un poète chilien à découvrir et d'autres encore.
Je profite de cet article pour lui rendre hommage alors que ces deux ouvrages présentés ci-dessus, il ne les a pas découvert.
Je vous laisse donc découvrir les extraits de ces livres.
UNE MINUTE CHANTEE POUR LA SIERRA MAESTRA
Si on demande le silence en disant au revoir
aux nôtres lorsqu’ils retournent à la terre,
je vais demander une minute sonore,
pour une fois toute la voix de l’Amérique ;
je ne demande qu’une minute de chant profond
en l’honneur de la Sierra Maestra.
Oublions les hommes pour l’instant :
parmi tant de terres, honorons celle qui a gardé
dans sa montagne mystérieuse
l’étincelle qui brûlerait dans la prairie.
Je célèbre les ramures brutales,
le dur dortoir des pierres,
la nuit aux rumeurs indécises
avec la palpitation des étoiles,
le silence dénudé des monts,
l’énigme d’un peuple sans drapeaux :
jusqu’à ce que tout commença à battre
et tout s’alluma tel un bûcher.
Invincibles les barbus sont descendus
pour établir la paix sur terre
et à présent tout est clair, mais alors
tout était sombre dans la Sierra Maestra :
pour cela je demande cette minute unanime
pour chanter cette Chanson de geste
et je commence avec ces mots
pour qu’ils soient répétés en Amérique :
Ouvrez-les yeux, peuples offensés,
la Sierra Maestra est partout.
(…)La loi de la pluie a été de changer la substance
des pleurs, de tomber et faire monter, d’éduquer l’amer silence
avec des lances que le vent et que le temps transforment en
feuilles et parfums
et l’on sait bien que le jour enthousiaste courant sur son char de blé
est le mouvement fleuri d’un sicle d’ombre sur le monde
et je me demande si tu ne travailles pas en tissant l’étain secret
du blanc navire qui traverse la nuit obscure
ou si de ton sang minuscule ne naît pas la couleur de la pêche
si ce ne sont pas tes mains profondes qui font couler les fleuves
si tes yeux ouverts au milieu du ciel en été
font du soleil à la terre tomber sa jaune épée
alors traversant l’incitation de ta cime son éclair parcourt
sables, corolles, volcans, jasmins, déserts, racines
et porte ton essence aux œufs de la forêt, à la rose furieuse
des hannetons, guêpes, lions, serpents, faucons
et ils mordent et piquent et clouent et brisent tes yeux qui pleurent
car ce fut ta semence sur la terre, ton ovaire impétueux
qui répandit sur la terre la langue du soleil en furie (…)