La grande guerre de Roger Colombier
Publié le 12 Janvier 2014
image bibliothèque gallica
L’angélus sonne l’hallali.
Monsieur le Maire qui n’a point fait la dernière
Harangue ces recrues partant vers leur première:
Dieu, la guerre sera jolie!
Des breloques multicolores
Enguirlandent chaque revers et son fusil.
L’on va anéantir tous ces Boches transis.
L’aurore sera tricolore!
Ils ont suivis leurs capitaines
Et seront tous de retour avant le souper,
Le front garni des lauriers de cette épopée
Qui durera une huitaine...
Le temps est à l’exubérance,
La vendange mûre, le grand soleil coquin.
Pieds du bourg ou des champs, les mêmes brodequins
Avec un pantalon garance.
Le départ des poilus 1914 (collège les loges Nevers) Garitan
JE VAIS PARTIR
Je vais partir vers le couchant.
Que veux-tu femme, verrouille bien notre porte!
Je vais partir vers le couchant.
Efface mes traces avec mes années mortes.
Si je m’en reviens vers mon seuil,
Me reconnaîtras-tu, vagabond cherchant asile?
Si je m’en reviens vers mon seuil,
Demeureras-tu encore seule sur notre île?
SOUS LES DRAPEAUX
Compagnies en carrés et un genou à terre
Derrière les drapeaux bénis par l’aumônier.
Le Christ ne laissera personne solitaire.
Ainsi adoubés, seront vaillants les troupiers.
Juste après la messe
Un autre décor
L’on charge des caisses
Qui seront ces morts?
Le temps sera-t-il de bonne ou male fortune?
Dans les cœurs, ne palpite plus le rêve mûr.
A la guerre, la vie ne vaut pas une tune:
Aucun soldat n’a ensemencé le futur.
LETTRE DU FRONT
Dans cette aurore de la lueur d’une lampe,
Je ne suis nulle part peut être n’importe où.
Voici mon adieu. Je fixe la triste rampe.
Bientôt sous le clairon, nous jaillirons du trou.
Mère, ces mots, il va falloir que je m’en aille.
Et tu le sais: j’ai eu vingt ans en ce printemps.
Mais ici, la terre ne s’ouvre plus aux semailles.
Mère, ces baisers, je n’en ai plus pour longtemps...
PERMISSION
Image
Un soir, que j’étais camouflé dans le silence
D’un rempart verdurier et dans l’ombre effacé,
Les canons bombardaient l’horizon en cadence,
Lorsqu’il vint de nulle part comme du passé.
Sans doute recherchait-il un dernier asile,
Le calme de mon bosquet pour s’y rajeunir
Avant de repartir à grands pas plus agiles,
Tout entier, endurci pour un sale avenir.
Se sont croisés nos yeux sans dire la vengeance.
Près de la mousse tranquille, il se blottira.
Et puis au matin reprenant notre allégeance,
Chacun vers son ciel haillonneux, l’on partira.
Toujours sans un mot de peur d’inviter l’orage,
Alors l’on s’est souri comme pour deux amis.
Et la terre aussi a retardé son naufrage.
Ensemble ou presque, nous nous sommes endormis.
LA TRANCHEE
Il pleuvait. Crottés jusqu’au cou et presque morts,
Nous étions confinés, seul avec le remord,
Dans la tranchée : étalement confus et triste
D’ombres sous le linceul des nues, gris et sinistre...
Au-delà du caveau, garnis de barbelés,
Des cadavres noircis, raides comme gelés.
Et autant de gisants pris dans la même toile,
Sans plus la force d’invoquer le divin voile.
A peine la nuit, l’on jaillira vers l’assaut.
Contre qui, contre quoi? Contre l’autre troupeau !
Ceux d’en face, pris comme nous, sans espérance...
De quel côté le bon droit et pour quelle France?
Il pleuvait. Le clairon sonna. En un clin d’œil
Comme une paille enflammée, droit sur notre seuil,
Nous nous sommes rués sans pitié sur les autres...
A moins que nos voisins vinrent charger les nôtres.
AU REPOS
Ils sont mis au repos
Gladiateurs horribles
Lâches ou bien salauds
Et des filles faciles.
Et puis du mauvais vin
A seaux vaille que vaille
Pour perdre son chemin
Et vomir ses entrailles.
Peut-on oublier
Du front la vermine
Et ses poux familiers
Et la mort qui chemine?
CHUCHOTEMENTS
image Herveroller
Des bruits chuchotent qu’il faut retenir son pas,
Ne point courir comme des sots sous la mitraille,
De honnir ces meurtriers qui nous jettent au trépas.
Parfois nos batteries transpercent nos entrailles...
Messieurs les généraux, entendez nos douleurs !
Et la pluie, et le froid infectant nos blessures...
Transis par le deuil nous n’avons plus de pleurs
Qui soulageraient nos plaies bouclées sous l’armure...
LA DER
image soldats français du 87e régiment près de Verdun 1916 Gsl
***
Ils repartirent encor vers la haine.
Avec le clairon battant le rappel,
A l’heure brisée du soir éternel,
Fantômes menés par leurs capitaines.
Ils repartirent encor vers la haine.
La salve orange en faucha des centaines,
Tant et plus qu’on ne put les ramasser
En refluant, compagnies désossées.
Et quelques rescapés: une huitaine...
La salve orange en faucha des centaines.
Dans la terre criblée qui fait la plaine,
Lorsque s’est tu le combat, dans le vent
Nous parvient l’agonie des survivants,
Fatigués de souffrir, râlant à peine...
Dans la terre criblée qui fait la plaine.
Y aura-t-il des soldats pour la prochaine ?
Pour gravir les échelles de la mort ?
Lorsque sonnera le clairon encor
Sur les trépassés bruissant de leurs chaînes,
Y aura-t-il des soldats pour la prochaine ?
LES MUTINS
Jean-Julien Chapelant (1891-1914) fusillé pour l'exemple (Ctruongngoc)
***
Le rang se fait d’espaces vides
Et le cœur absent ou livide.
Revient l’écho.
Est venu le temps de la fronde:
Assez de tueries rubicondes,
De nos stratèges radicaux!
Pour glaner quoi? Un bout stérile,
Ou deux, à seule fin utile :
Une médaille au général
Que le carnage nous consume
Et sanglante soit notre écume:
Une médaille au général!
Défunte est l’ancienne fête
Quand l’on courut vers la conquête
En plein mois d’août...
Aujourd’hui, désobéissance
Malgré le cuir ou la potence...
Ne plus bouger, coûte que coûte...
TIRES AU SORT
Ils ont tirés au sort par-dessus leurs épaules
Ils ne pouvaient pas tous les fusiller
Avant que d’autres l’on enrôle
Pour être écrabouillés
Sans faribole
Voyez!
AVEU
Je ne fus pas un bandit de sacs et de cordes
J’ai accepté la loi comme les autres gens
Et triché peut être cela je vous l’accorde
Mais d’un pauvre n’ai point pris un seul argent.
Pourquoi alors mes mains entravées de chaînes
Et ce trou là-bas que l’on fossoie très profond?
Et ce poteau droit où l’on m’attache sans peine...
Un bandeau mais le lait de l’aube dans le fond.
AU CLAIRON
La fusillade est assassine
Mais la troupe reprend le pas
Et ses épines,
Son sésame pour le combat.
Et les hommes à nouveau meurent
Au nom du clairon souverain.
Il n’est pas l’heure
De la relève mais du chagrin.
ENFIN !
La paix nom de Dieu et l’amour !
Plus jamais de sang ni de flammes.
La vie recouvre ses atours.
Et son rire de jeune femme.
La page est tournée pour de bon :
Ouvrons nos champs et les pâtures!
De nos mains le rêve gerbons
Dans les cœurs et mille murmures.
ILS REVINRENT
Ils remirent à Dieu la clé de la bataille
Et redevinrent des civils comme autrefois.
Plus gauches cependant en ces habits qui baillent,
Tant avaient rognés les corps, la guerre et le froid.
Qu’ils referment le col blanc ou la côte grise,
Manœuvriers, dans la mine ou instituteurs,
Pourront-ils un jour oublier l’immense bise,
Ces millions de croix plantés comme des tuteurs ?
Et puis l’on distingua des charrues orphelines,
Des vieux laboureurs n’ayant plus de destinées.
Et toutes ces veuves en noires capelines,
Et ces gueules cassées au rire mort brisé.
Que se ferme le ban et suivons la musique.
Autour du monument, voici l’heure venue.
Le drapeau frémissant glorieux et magnifique
S’est accroché à une tombe toute nue...
LA GUERRE EST UN MASSACRE
La guerre est un massacre, a redit le poète.
Enfants qui me lirez, soyez-en assurés.
Dans un jour, un an, elle tranchera vos têtes,
Sans un remord ni faire une fois l’écœurée.
La guerre massacre des cœurs qui se ressemblent
Au profit d’autres qui ne veulent que régner.
Qu’ils soient gouvernants, financiers ou tous ensembles,
Main dans la main, voici nos bourreaux, leurs cognées.
ONZE NOVEMBRE
Saoulés de mensonges, ils partirent à la guerre,
Fleuris, enrubannés comme à Pâques rameaux,
Jurant de revenir sous la treille prospère.
Le combat sera mort avant de dire un mot.
Fiers soldats dans vos pantalons bien garance,
Vous courûtes au bal ainsi endimanchés
Quand une mitraille perça votre innocence
Pour vous enclouer dans l’enfer de vos tranchées.
Et lorsque le clairon bramera en novembre,
Plus tard, qui saura vos souffrances aujourd’hui?
Déjà des boutefeux, viennent vont reprendre.
Fut jolie la guerre de quatorze-dix-huit ?
ROGER COLOMBIER
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corbieres eternelles - Le blog de Roger Colombier
L'histoire sociale du Mantois, cette région à l'Ouest de l'Île-de-France. Et aussi mes coups de gueule, mes observations ou mes bravos sur l'actualité du présent.
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