Publié le 16 Août 2022
.....mémoire de Rose....
......souvenirs d’enfance......
« Viens, ma p’tite fille dit ma grand-mère à ma mère :
J’aimerais que tu me donnes un coup de main :
Il faut que j’écrive un courrier :
C’est pour le journal
Je dois porter réclamation au sujet du nom de la rue
C’est vrai, ça :
Ils nous l’ont changé, sans rien nous demander ! «
Et voilà Guillaume qui déboule d’on ne sait où !
Qui est-il ?
On s’en moque !
Il a débarqué
Collé dans les pattes des riverains
Sans jamais se présenter !
Quel affront !
Quid de la consultation ?
Quid du consentement ?
Une chose est sûre :
Mes grands-parents étaient, déjà
Adeptes de la démocratie participative !
Ma mère en me racontant ce fait
Ouvre en ma mémoire une brèche où la pensée s’insinue :
Ma grand-mère en parlait assez souvent
Elle n’aimait pas ce nom de rue (ça la révoltait encore)
Je me demande aujourd’hui pourquoi au-delà du consentement
Les choses me reviennent
Ce n’était pas en raison de la fonction cardinale du Guillaume
C’est vrai qu’à y regarder de près, ici et maintenant
Il en a fait des choses à Rouen
Pour le patrimoine religieux s’entend
Je me souviens que ce qui choquait
C’était plutôt le mépris de classe :
« Quoi ! on remplaçait le nom de notre rue,
Un nom populaire s’il en est un
Par un nom de noble, d’ecclésiastique, avec un nom à particule ?
Quelle décadence !
Quel abus de pouvoir !
Qu’avait-elle fait de mal la rue Chasselièvre (prolongée s’il vous plaît) ?
Quelle image ne représentait-elle pas dans la tête des habitants
Sinon le lièvre courant sur le sentier
Ses longues oreilles battant au vent ?
C’est en 1970 que la rue change de nom
J’ai 6 ans et ne m’en souviens pas
Pourtant Chasselièvre, c’est un nom qui bat dans nos mémoires
Comme les oreilles du lièvre dans le vent.
Il y a sur la route entre ma maison d’enfance à Déville-lès-Rouen
Et la maison de mes grands-parents
Un immeuble ou plutôt une barre comme ils disent en son milieu
Le seul immeuble, de cette rue, alors
Que l’on appelait l’immeuble Chasselièvre du nom de la rue
Quelques camarades d’école habitaient là
Certes on les plaignait car ils vivaient dans un immeuble
Même si nous autres n’étions pas très mieux lotis
Car notre maison alors était une cabane en bois sans aucun confort moderne
Mais nous avions un jardin : la liberté !
Chasselièvre est un mot qui reste, qui demeure
C’est un mot en langage populaire
Un qui garde la mémoire au frais
D’Estouteville est passé au-dessus de nos vies
Comme un pet de lièvre qui a oublié d’être snob.
C’est important le nom d’une rue
Cela demande la « collégiale »
Combien de fois l’écrivons-nous dans nos vies
Juste au-dessous de nos noms ?
Combien de fois le lisons-nous sur nos courriers
(quoique à présent plus personne ne veut écrire).
C’est important le nom d’une rue
Car inconsciemment on s’en identifie
Ce n’est pas rien car en ce temps-là
Une rue nous accompagnait souvent le temps d’une vie
Les gens ne déménageaient pas souvent
Le nom de la rue collait à leur peau
Comme une combinaison de nuit pendant la chaleur de l’été.
Parfois je me dis qu’il serait agréable de choisir
Sa maison ou son logement en fonction du nom de la rue
Par exemple selon ses goûts et ses valeurs une rue au nom évocateur
Comme une sorte de devoir de mémoire habitationnel :
« Je vis ici car ici l’on fête Pablo Neruda, Karl Marx, Che Guevara ou René Char ! »
Plus simplement les noms populaires
Ceux qui font référence aux lieux
Aux particularités, à la géographie
A la mémoire ancestrale
Sont les noms les plus justes à mes yeux
Ils sont politiquement neutres et véhiculent l’histoire de la terre humaine
J’habite à présent rue de la marnière
C’est beau la marne, c’est la richesse minérale
Ça livre une histoire de géologie particulière, de terroir
D’exploitation aussi, hélas
La marne, elle écrit très bien le mot LIBERTE
Sur une ardoise, elle aussi, fille de la géologie
Mais voilà, la rue Guillaume d’Estouteville
Une personne un jour s’en est plainte au journal :
« Rendez-nous la rue Chasselièvre ! »
C’est un peu celui qui a levé un lièvre
Pour y glisser à la place sa pourpre cardinalice
Certes le monsieur n’y est pour rien car il n’était plus de ce monde
Il n’empêche que jamais, vraiment jamais
Nous n’avons,
Suite à cela,
Adhéré à ce nom
Si bien qu’à chaque fois que nous écrivions l’adresse
C’était comme à regret !
C’est ainsi que s’écrivent les histoires populaires
Que s’écrit la mémoire familiale.
Carole Radureau (16/08/2022)