C’est une légende la fougère-mère
Ou bien une vérité
A toi d’en juger au vu et au su
Des semblants et écumes de ton chemin de vie.
La fougère un jour voulu devenir mère
Dans ses gènes de chlorophylle et de tendresse
Il y avait comme une petite luciole justifiant
La reproduction.
Elle se dit : pourquoi pas ?
Je serai moins seule à peupler le sous-bois
Je pourrais rire, discuter et transmettre
Des rêves de fougère à mes rejetons.
Sacrifiant au rituel nécessaire
La fougère qui n’était pas encore mère
Multiplia ses stolons en autant de petits
Tendrement emmaillotés dans la couette chaude
De l’amour.
Les petites fougères grandissaient vite
Apprenaient vite
Cherchaient déjà pour elles-mêmes
La lumière d’une clairière
Les frondes précieuses qui font penser
Que nous le sommes pour quelqu’un.
Riches de leurs connaissances botaniques
Instruites en faune minuscule
Croisant le fer entre matérialisme et symbolisme
Elles partirent peupler là-bas plus loin
Le sous-bois.
La fougère-mère gardait un œil sur la progéniture
La voyait parfois s’amenuiser
Parfois croître
Parfois rire
Parfois pleurer
Elle lui avait donné des outils, une clé et une
Gomme
Un manuel de fougère junior
A elles, les petites de savoir s’en servir
Au besoin.
La fougère-mère était devenue un phare
Brillant par intermittence dans la nuit forestière.
Elle connaissait tout du discours de la hulotte
Savait parler le Hou- hou du grand-duc
Connaissait le code secret du pic épeiche
Et la lente progression du hanneton.
Elle cultivait à présent pour elle-même
La sagesse
La leçon de vie qui est un pont avec la leçon de mort
Elle avait appris que mourir avant de mourir
Etait la véritable leçon
Que rien n’était perdu car rien ne mourrait sur terre
Au-delà des matières.
Cette sagesse elle aurait aimé la diffuser
Qu’elle soit comprise
Qu’elle adoucisse les maux :
Qu’elle amène la paix
C’est si beau la paix quand on l’a trouvée
La paix des fougères est un trésor non caché
Dévoilé à ceux qui ont un cœur en éveil
Une âme d’enfant
Une tendresse qui tend à déborder en chaque geste
Un regard naïf sur les choses.
Vaille que vaille iraient les enfants de la fougère-mère
Leur cordon étant coupé
Il ne leur restait que la fine tranche des ondes
Reliant l’âme à l’âme
La fibre à la fibre
L’amour à l’amour
Quand ceux-ci semblent souvent s’atténuer
Regarder d’où part sa racine-mère :
La terre
Où se projettent ses bras-pensées :
Les étoiles.
Entre ici et là-bas rien d’autre qu’une immensité
Un bain d’énergie
Dans lequel se baignent chaque jour
Les êtres.
Carole Radureau (22/10/2019)