La participation de Dominique que je remercie de tout coeur.
Il y avait là-bas très loin dans le temps, une belle chênaie qui prospérait tant et si bien depuis la nuit des temps, que les hommes de la côte commencèrent à s’y intéresser après qu’ils eurent écumé la plupart des bois alentours ne laissant après leurs passages, que des arbres malades, trop jeunes, trop chétifs, définitivement handicapés ou encore ceux dont la forme ne correspondait pas à l’usage qu’ils voulaient en faire. Pour pouvoir continuer à travailler et garder l’exceptionnelle réputation de leur savoir-faire, les hommes de la côte devaient à tout prix trouver les plus belles essences possible, des bois forts et sains, et c’est chaque fois plus loin de chez eux qu’ils devaient prospecter.
Vint le jour funeste où ils pénétrèrent cette forêt pas comme les autres, armés de gabarits et de machettes afin de choisir parmi les plus beaux arbres, ceux qu’ils comptaient utiliser pour leur art !
A leur approche il se fit un grand silence dans la forêt lointaine. A peine entendait-on comme un murmure le cri du coucou têtu, mais ce n’était pas à eux qu’il s’adressait… le hibou discret n’y répondit pas. Tous les animaux qui peuplaient les lieux s’étaient figés, qui dans son terrier, qui dans son nid. Dans l’expectative les grands arbres retenaient leur souffle, les plus jeunes, curieux, surveillaient discrètement de leur feuillage les humains émerveillés de ce qu’ils découvraient : des chênes plus beaux et plus forts les uns que les autres ! Les hommes s’arrêtèrent dans une petite clairière pour décider entre eux lesquels de ces chênes géants ils allaient marquer, en vue de la venue prochaine des bûcherons qui n’auraient alors plus qu’à suivre les instructions de ces charpentiers. Le travail du découpage exact des troncs et des branches, dans les formes qui leurs étaient nécessaires pour la fabrication des goélettes qu’on leur commandait de tous les royaumes environnants, allait se faire sans tarder.
Entendant cela, la forêt toute entière frémit d’effroi, on allait découper ses vénérables arbres dont la plupart étaient plusieurs fois centenaires ? Les plus jeunes se demandaient de quel droit, et pourquoi on pouvait bien découper des arbres qui étaient naturellement de véritables sculptures ! Alors que chaque arbre s’inquiétait de son sort, il y en avait un qui se réjouissait discrètement du sien. Mais serait-il seulement choisi pour être transformé en pièce de voilier et fuir l’ennui ? C’était là toute son angoisse … Cet arbre-là s’était toujours fortement ennuyé les pieds enracinés dans la terre depuis toujours. Il rêvait parfois qu’il volait en regardant les oiseaux à qui il demandait quel effet cela faisait de s’élever parmi les nuages. Et les oiseaux lui rapportaient ce qu’ils voyaient depuis si haut. L’arbre était époustouflé de ce que lui racontaient ses amis. Oh, comme il aurait aimé leur ressembler plutôt que d’être prisonnier du sol parmi ses congénères qui lui faisaient de l’ombre ! Et quand il sentit que des hommes s’intéressaient à lui alors qu’ils lui tailladaient l’écorce, il ne put réprimer malgré la douleur, un soupir de satisfaction. Il allait enfin quitter sa forêt séculaire et ennuyeuse, pour un avenir tout en surprises !
Pendant ce temps les arbres autour de lui qui n’avaient pas fait l’objet d’un intérêt quelconque auprès des charpentiers de la mer, se lamentaient de voir certains des leurs, ainsi mutilés d’une partie de leur tronc et de leurs plus belles branches, pour devenir de simples…ossements de bateau ! Et qu’adviendrait-il de leur si beau feuillage, si leurs profondes blessures ne leur permettaient plus d’avoir la force nécessaire pour puiser de la vie dans le sol ?
L’arbre qui rêvait d’aventure, fut emmené vers la côte débité en larges morceaux et accompagné de beaucoup de ses congénères dans le même état lamentable. Il ne ressemblait plus du tout à un arbre, on lui avait ôté sa belle écorce, et sa chair à vif lui faisait mal, mais qui s’en souciait maintenant ? Il se retenait de songer à sa forêt et préférait imaginer son avenir même s’il s’avérait maintenant incertain.
Les mois passèrent et la nouvelle goélette dont la membrure, la coque, l’étrave ainsi qu’une grande partie du pont étaient faits à partir des arbres de cette grande forêt, fut enfin mise à l’eau sous les “hourra” joyeux de la foule toujours prête à fêter un départ comme un retour.
Une fois libéré de ses entraves, le fin et magnifique voilier s’échappa du port en fendant les flots pour filer droit devant lui, poussé par un alizée léger qui gonflait ses belles voiles auriques, et les focs ne tardèrent pas à accélérer encore sa course vers l’horizon, d’où... elle ne revint jamais, emportant avec elle ses marins à tout jamais.
Mais ce qui revenait comme un écho sourd aux consciences des hommes qui détruisaient les beaux chênes dans leur forêt, c’était le chant lugubre qui s’élevait de la terre jusqu’au-dessus de la canopée des grands arbres blessés, et se répandait certains soirs d’été, dans le ciel en feu, formant les reflets brumeux d’une armada de goélettes qui traversaient le ciel se fondant dans l’horizon, qui alors s’assombrissait. Et la nuit tombait. Alors les hommes baissaient les yeux comme pour une prière, attendant le jour nouveau pour recommencer leur sinistre besogne.
La légende elle, raconte qu’une fois hors de portée de vue du port où elle vit le jour, la première goélette issue de la chênaie se transforma subitement. Des branches poussèrent de façon anarchique depuis le mât de misaine déchirant la voilure et s’étirant tout autour de la coque, ainsi que sur le pont. Les planches retrouvaient leurs formes originales et se mirent à feuillir si rapidement que les marins paniqués, préférèrent se jeter dans les estomacs vides des requins, plutôt que de finir entre les griffes du diable. Croyaient-ils…
Ainsi vogue depuis des siècles au gré du vent et des courants marins, une chênaie flottante et invisible aux yeux des hommes. Seuls les animaux marins viennent se prélasser sur les rives de cette île étrange, et les oiseaux de passage y nichent, racontant à l’un des chênes plus curieux que les autres, ce qu’ils voient de la terre et des hommes…
Rien qui donne envie de s’en rapprocher.