aragonite

Publié le 18 Avril 2024

Nous nous enfonçons à travers la nuit.

Nous nous enfonçons à travers la nuit.

Où es-tu, rose lumineuse ?

Ton parfum s’est enfui sur le chemin de Damas.

Les cloches ne tintent plus quand la lame atteint le rocher percé.

A sa solitude, le cheval est laissé et il pleure.

Pourquoi as-tu essuyé du revers de ta manche le dessin qui souriait, amour/espoir sur le mur ?

Les yeux qui ne veulent pas voir s’enfuient, un mouchoir tâché sur leur agonie.

Nous marchons vers des ténèbres inconnues qui, pourtant ont déjà résonné.

A sa solitude la poésie est laissée et elle pleure.

Elle n’a pas peur, non.

Elle cherche seulement un phare dans la nuit.

Il y a sur le chemin des flèches qui indiquent la mauvaise direction : leurres.

On entend les paroles de l’effraie qui file à travers le temps qui passe : peigne de la nuit.

Silence.

Le noir a tout recouvert et nous cherchons en vain la beauté :

Ame.

Où as-tu caché la clé du retour ?

Les oranges parlent entre elles et leurs paroles semblent inaudibles.

« nous ne serons pas complices du crime » disent-elles !

Bien.

Au moins les oranges tiennent-elles leur rang et leur sang est digne.

L’orange sanguine ne laisse jamais échapper une goutte par mégarde quand la haine lui ordonne de pleurer.

Nous aurons droit à l’arc-en-ciel après cette nuit et je choisirais le violet pour peindre la rose triste.

J’ai pris le jasmin tendrement dans ma main et je l’ai embrassé : soif.

La mer n’iode plus.

Chaque nuit qui est nôtre ne permet plus aux étoiles de se perdre dans la mer : filles des toiles déposées plus tard sur le sable.

Combien de jours sans toi, étoile de mer ?

Combien de nuits sans lune, étoile-mère ?

Nous nous enfonçons à travers la nuit.

Le hibou a tourné la tête vers le mur ébranlé.

Il y a des mots à ne pas dire.

Se taire n’est pas au programme, poète à vos devoirs !

La parole est un sucre que l’on peut convertir en paix puis en épée pour trancher la langue venimeuse.

Suis-je sur le bon chemin mon cheval ?

J’ai égaré ma rose lumineuse, celle qui récite des vers en se tordant les cheveux.

J’ai semé tes crins, mon cheval, sur la route…..petits cailloux doux. Espoir de retour.

Nous retrouverons les traces de nos pas quand l’heure sera venue de caresser des yeux le velours de l’olivier étendu sur le fil de la paix.

 

Carole Radureau (18/04/2024)

 

 

 

Voir les commentaires

Rédigé par caro et hobo

Publié dans #Lance-pierre, #Aragonite

Repost0

Publié le 31 Janvier 2024

Poète provincial,
oiseleur,
Je vais et je viens à travers le monde,
désarmé,
sans les autres, en sifflant,
soumis
au soleil et à sa certitude,
à la pluie, à son langage de violon,
à la syllabe froide de la rafale.

Oui oui oui oui oui oui 
Je suis un oiseleur désespéré,
je ne peux pas me corriger
et même si je ne suis pas invité
les oiseaux à la tonnelle,
au ciel
ou à l'océan,
à leur conversation, à leur banquet,
je m'invite moi-même
et je les traque
sans préjugés :

chardonnerets jaunes,
grives noires,
sombres cormorans pêcheurs 
ou merles métalliques,
rossignols,
colibris éclatants,
cailles,
aigles inhérents
aux montagnes du Chili,
loicas au poitrail pur
et sanguinolent
condors courroucés
et des merles,

peucos immobiles, suspendus au ciel,
diucas qui m'ont éduqué avec leur trille,
oiseaux de miel et de fourrage,
de velours bleu ou de blancheur,
oiseaux couronnés d'écume
ou simplement vêtus de sable,
oiseaux pensifs qui interrogent
la terre et picorent son secret
ou attaquent l'écorce du géant
ou ouvrent le cœur du bois
ou construisent avec la paille, l'argile et la pluie
la maison de l'amour et du parfum
ou doux jardiniers
ou voleurs
ou inventeurs bleus de la musique
ou témoins tacites de l'aube.

Moi, poète
populaire, provincial, oiseleur,
j'ai fait le tour du monde à la recherche de la vie :
d'oiseau en oiseau, j'ai connu la terre ;
j'ai reconnu où volait le feu :
la précipitation de l'énergie
et mon désintérêt a été récompensé
car, bien que personne ne m'ait payé pour cela
j'ai reçu ces ailes dans mon âme
et l'immobilisme ne m'a pas arrêté.

Pablo Neruda (Arte de pájaros) traduction carolita

 

Voir les commentaires

Rédigé par caro et hobo

Publié dans #Aragonite

Repost0

Publié le 28 Octobre 2023

(...) Je ne rêve maintenant de rien.
Je désire désirer.
Je ne rêve maintenant que d'harmonie.
Désirer
ou
Disparaître.
Non. Ces temps ne sont pas mes temps (...)

Mahmoud Darwich

Voir les commentaires

Rédigé par caro et hobo

Publié dans #Aragonite

Repost1

Publié le 12 Septembre 2023

 

Chili. 50 ans

 

Quand le monde est fou

Le regard tourné

Vers où on lui dit de regarder

Les larmes qui tombent près de lui

Sont larmes de vair.

 

Quand la mémoire n’a plus son fil,

Rompu

Par les ciseaux cranteurs du libéralisme

L’histoire s’enfuit,

Hase à l’ouverture de la chasse.

 

Quand le fascisme

Ecrit en lettre d’or son programme

Que les médias, bouche-bée

Gobent la saleté

On se dit que les gobemoucherons

Ont une sale concurrence.

 

Il n’y a pas de vérité

Il n’y a qu’un moment présent

Parfois gai   parfois sombre

Qui nous dit de ne pas regarder devant

Qui nous dit de ne pas trop regarder derrière

A part pour le devoir de mémoire :

Chili je pense à toi

Peuple chilien, travailleurs, je pense à vous

Martyrs, je pense à vous :

Allende, Victor, Pablo

Je pense à vous.

 

Vous êtes notre moment présent

Votre force est un phare

Qui nous guide dans les tempêtes

L’espoir de vos vies

Est une boussole qui brise les paradigmes

Votre œuvre

Nous

Sourit.

 

La force a creusé son lit dans l’obsidienne des conquêtes

Les paroles glissent sur le velours noir,

Lave tendre du volcan de l’amour.

 

La force de vos rêves

Est un filet à étoiles

Qui chantent quand on les capture

Car elles savent quel bien elles apportent.

 

Vous êtes des sourires non pas figés

Mais éternels

Des rires non pas jaunes

Mais rouges, fusibles pour le jour de la victoire.

 

Ils vous ont pris à nous

Nous vous avons repris car votre force est vive

Elle vainc tous les barrages

Convainc toutes les tempêtes

Ajuste les laves en direction sûre

Détourne les nuées par des paroles subliminales.

 

Cette magie de l’espérance

Aujourd’hui, est une évidence

L’histoire en a fait son lit de rosée

Son petit-déjeuner au miel de fleurs d’oranger.

 

La force est la victoire des justes

La pérennité est la marque de fabrique des justes

Le temps qui passe ne ternit aucun mot, aucune image

Le temps qui passe les renforce

Granit rose d’une planète reconquise

Cristal d’un chant redoublé.

 

 

Carole Radureau (12/09/2023)

 

Voir les commentaires

Rédigé par caro et hobo

Publié dans #Aragonite

Repost0

Publié le 17 Août 2023

 

Lieux

Qui ne serez jamais anonymes

Endroits dans lesquels

Nos pas glissent comme dans la couture grise du temps

Sans images   sans espace   sans sons ni bruits

Autres que ceux de la ville.

Lieux

Tout soudain, un matin

Tu sers la main à la figure, là

Née dans la nuit,

Seule,

Par une action pirate

Elle te réjouit cette figure-là

Car tu la connais bien :

C’est ton histoire ou

L’histoire attachée au lieu

Ou

Celle de tes ancêtres ou

L’histoire qu’elle veut que tu connaisses ou

Un rappel ou

Une évidence ou

Un souvenir ou

Une remembrance ou

Une interpellation ou

Une résonance.

Lieux qui vibrez tout soudain

Comme à l’approche du pas qui vient

Vous révéler : juste reconnaissance.

Vous êtes,

Murs délabrés, tagués, retagués,

Livrés à votre désœuvrement, de

Peu d’importance

On vous oublie, vous êtes

Les vieux meubles de l’histoire

Ceux qui ont connu le sang

L’ont absorbé, éponge de salpêtre

Ne l’ont jamais régurgité.

Tout soudain, l’image collée la nuit,

L’image colle à la nuit

Réveille le sang endormi

Réveille les larmes

Réveille la vie

Réveille la poésie, mieux

Elle bute et se cale sur le lieu

Où tout a commencé, elle l’embrasse,

Se fond en lui, silhouette, l’

Epouse,

Ephémère,

Volonté d’éphémère,

Image qui a vocation à disparaître, qui,

Pourtant, pour les gens de cet espace-là,

Est une œuvre si sincère

Qu’ils aimeraient la garder, bien protégée :

Icône dans un musée :

Darwich sur le mur de séparation, mur de la honte, Darwich

Sur le marché, non pas invité, mais fondu :

Mahmoud vit !

Toujours compagnon de route, revenant du marché,

Tu poses ton filet à provisions

Et récites la poésie, forte, belle et rebelle,

Tu vis l’exil, la lutte, la si longue occupation, tu sens la

Clé dans ta poche

Tu arrives chez toi, tu ouvres le filet

Sors le sourire et les vers en sus des courses :

Mahmoud vit !

Les lieux ont une âme

Ce ne sont pas des accidents de parcours

Il leur faut se confronter

A Ernest Pignon-Ernest, son seau, son pinceau, sa colle

Tel le colleur d’affiche nocturne du parti

Œuvrant en catimini avec sa mission casse-cou autour du cou

Qu’œuvre le choc précieux de la mémoire

Que les cœurs s’égaient, se rappellent

Ne soient plus tristes.

Ici où là les images,

Collages de l’infini sur un espace ébranlé,

Vie, résurgence, livre d’histoire, quête d’immortalité,

Se baser sur l’éphémère, le périssable

Pour rendre immortelle la mémoire des hommes

Il y a pensé, l’a si bien établi

Que plus jamais les lieux ne seront

Comme des inconnus

Vides, nus, agglos, gribouillages incompréhensibles,

Peintures écaillées, métal tordu, déstructurés,

Eventrés par la misère et le dédain,

Il y a pensé, l’a si bien résolu

Que chaque matin, l’image t’accompagne,

Sœur,

Plus réelle que les bruits de la rue réelle :

Elle est ton instant présent

Porteuse de l’eau d’hier

Le lieu, son espace, son univers :

Dans la rue, l’image vaut réellement mille mots.

 

Carole Radureau (17/08/2023)

 

« Les lieux te parlent ». Nos pas dans les pas d’Ernest Pignon-Ernest
« Les lieux te parlent ». Nos pas dans les pas d’Ernest Pignon-Ernest

Voir les commentaires

Rédigé par caro et hobo

Publié dans #Aragonite

Repost0

Publié le 15 Août 2023



« Eh, vous !
Le ciel !
Découvrez-vous !
C’est moi qui viens !

Silence.

L’univers est sourd
Et dort, sa patte aux pinces stellaires
Sous son oreille immense. «


Vladimir Maïakovski, Le nuage en pantalon

Eh ! vous !

Pourquoi ne rien changer ?

En bas il faut

La tête

Garder

Comme un soulier dans le potage du roi.

 

Le sang

S’étamine

Là où le ciel

N’éclaire qu’une vitamine

De quiproquos.

 

Eh ! le ciel !

Maïakovski a trop tempêté

Vous m’avez l’air

Bien brouillé

A désigner

Des sorciers

A fumer l’amarante.

Je ne peux

En toute évidence

Vous blâmer, Eh, le ciel !

Il a éraflé de sa rime

La joue mal rasée des dieux

Leur a ridé 2 poches

Sous les yeux

Pincé le gras des fesses

Déchiré le nombril

Après leur avoir décousu

Une boutonnière.

 

Le fonceur

Il volait dans les plumes volaillères

En ce paradis

Nul repos

Ne trouvait

J’ai bien envie

Tout

De

Même

De voir rire son étoile

Avec la gouaille baveuse

Aux lèvres

Le rire farceur

L’argent moqueur :

Sa grande liberté !

 

Hé ! le ciel !

Il est mort !

l’avez-vous dans vos tiroirs

Sans rancœur

Sans frissons ?

L’avez-vous

Débordant, trompant,

Rimant,

Sans contrefaçon

Envoyant sur nous ici-bas

Le projecteur

Nous dire :

Arrêtez de pleurer !

 

Je l’entends, ce géant

Ce frère rimeur

Me tenir la bavette

Jongler

Avec 3 planètes

Sifflant comme un pinson

Balancer son grand

Coup

De

Pied

Dans un satellite

Envoyer la friture

Sur leurs ondes

histoire de….

Je le vois

Je l’entends

Hé ! le ciel.

Je le vois,

Je l’entends ô !

Ciel

Il est mort, il est

Vif

Il n’est jamais mort

Il rit en nous

Se fend et se brise

Pour repartir en morceaux

Se coller dans les ondes.

 

Carole Radureau (15/08/2023)

 

Inspirée par cette photo de Serge de la Nébuleuse du Sorcier et inspirée de Maïakovski por supuesto !

La nébuleuse du Sorcier 2

Voir les commentaires

Rédigé par caro et hobo

Publié dans #Aragonite

Repost0

Publié le 28 Mars 2023

Pas le coeur à écrire en ces moments de terreur que vit notre pays, en cette journée anniversaire de l'un de mes poètes compagnons de route, je préfère lui rendre hommage, lui qui écrivait à l'encre de son coeur et dont ses tripes n'étaient pas non plus bien loin de l'affaire. Mort dans les geôles fascistes......te recuerdo, Miguel.

D'où que tu es, donne-nous la force nécessaire à ce qui vient.

 

.....Miguel Hernandez.......

 

Assis sur les morts

Qui en deux mois se sont tus,

J’embrasse des chaussures vides

Et j’empoigne rageusement

La main du cœur

Et l’âme qui le maintient.

 

Que ma voix monte sur les monts

Et descende à la terre et tonne

C’est cela que demande ma gorge

Dès maintenant et depuis toujours.

 

Approche-toi de ma clameur

Peuple du même lait que moi,

Arbre qui avec tes racines

Emprisonné me tiens,

Parce que je suis ici pour t’aimer

Et je suis là pour te défendre

Avec le sang et avec la bouche

Comme deux fusils fidèles.

 

Si je sortis de la terre

Si je suis né d’un ventre

Malheureux et avec la pauvreté,

Ce ne fut que pour devenir

Rossignol des malheureux

Echo du mauvais sort

Et pour chanter et parler sans cesse

A qui se doit de m’écouter

De tout ce qui se réfère

Aux peines, aux pauvres et à la terre.

 

Hier s’est réveillé le peuple

Nu et sans rien à se mettre,

Affamé et sans rien à manger

Et en ce jour il se réveille

Justement orageux

Et sanglants avec justice.

Dans sa main les fusils

Veulent devenir des lions

Pour en finir avec les fauves

Qui l’ont été tant de fois.

 

Même si les armes te manquent,

Peuple de cent mille pouvoirs,

Que tes os ne défaillent pas,

Châtie celui qui te blesse à mort

Tant qu’il te reste des poings,

Des ongles, de la salive, et qu’il te reste

Du cœur, des entrailles, des tripes,

Des organes virils et des dents.

Brave comme le vent brave,

Léger comme l’air léger,

Assassine celui qui assassine,

Abhorre celui qui abhorre

La paix de ton cœur

Et le ventre de tes femmes.

Qu’on ne te blesse pas de dos,

Vis face à face et meurs

Avec la poitrine face aux balles,

Large comme les murs.

 

Je chante avec la voix en deuil,

Mon peuple à moi, pour tes héros :

Tes angoisses comme les miennes,

Tes infortunes qui possèdent

Les pleurs du même métal,

Les peines de la même tempérance,

Et du même bois

Ta pensée et mon front,

Ton cœur et mon sang,

Ta douleur et mes lauriers.

Cette vie me semble

L’antichambre du néant.

 

Je suis ici pour vivre

Tant que l’âme résonne en moi,

Et je suis ici pour mourir,

Quand l’heure me viendra,

Dans les sources du peuple

Dès maintenant et depuis toujours.

La vie est faite de plusieurs gorgées

Et la mort n’en a qu’une seule.

 

 

Paru dans Mon sang est un chemin, traduction de Sara Solivella et Philippe Leignel

Pablo Neruda consacre un chapitre de ses Mémoires J'avoue que j'ai vécu à Miguel Hernandez et à la rencontre lumineuse qu'il a eu avec lui:

" A peine arrivé à Madrid, et devenu comme par enchantement consul du Chili dans la capitale espagnole, je connus tous les amis de Garcia Lorca et de Rafael Alberti. Ils étaient nombreux. Quelques jours plus tard, j'étais un poète de plus parmi les poètes espagnols. Ce qui ne nous empêchait pas, Espagnols et Américain, d'être différents. Cette différence, naturelle, entre nous, les uns l'affichent avec orgueil, et les autres, par erreur. 

Les Espagnols de ma génération étaient plus fraternels, plus solidaires et plus gais que mes compagnons d'Amérique latine. Pourtant, je pus constater en même temps que nous étions plus universels, plus au courant des langages et des cultures. Peu d'Espagnols parlaient une autre langue que la leur. Lorsque Desnos et Crevel vinrent à Madrid, je dus leur servir d'interprète pour qu'ils se comprennent avec les écrivains espagnols.

L'un des amis de Federico (Garcia Lorca) et de Rafael (Alberti) était le jeune poète Miguel Hernandez. Quand nous fîmes connaissance, il arrivait en espadrilles et pantalon de velours côtelé de paysan de ses terres d'Orihuela, où il avait gardé des chèvres. Je publiai ses vers dans ma revue Cheval vert: le scintillement et le brio de son abondante poésie m'enthousiasmaient. 

Miguel était si campagnard qu'il se déplaçait entouré d'un halo de terre. Il avait un visage de motte de glaise ou de pomme de terre qu'on arrache d'entre les racines et qui conserve une fraîcheur de sous-sol. Il vivait et écrivait chez moi. Ma poésie américaine, avec ses horizons nouveaux, ses plaines différentes, l'impressionna et le transforma.

Il me racontait des fables terrestres d'animaux et d'oiseaux. Cet écrivain sorti de la nature était comme une pierre intacte, avec une virginité de forêt, une force et une vitalité irrésistibles. Il m'expliquait combien il était impressionnant de coller son oreille contre le ventre des chèvres endormies. On entendait ainsi le bruit du lait qui arrivait aux mamelles, la rumeur secrète que personne d'autre que lui, le poète-chevrier, n'avait pu surprendre.

D'autres fois il me parlait du chant du rossignol. Le Levant espagnol, son pays d'origine, était rempli d'orangers en fleur et de rossignols. Comme au Chili ce chanteur sublime n'existe pas, ce fou de Miguel voulait recréer pour moi dans sa vie même l'harmonie de son cri et son pouvoir. Il grimpait à un arbre de la rue, et du plus haut des branches, sifflait ou gazouillait comme ses chers oiseaux natals. 

(...) Le souvenir de Miguel Hernandez ne peut se détacher des racines de mon cœur. Le chant des rossignols d'Orihuela, leurs tours sonores érigées dans la nuit parmi les fleurs d'oranger, étaient pour lui une présence obsédante et constituaient une part du matériel de son sang, de sa poésie terrestre et rustique, dans laquelle se fondaient tous les excès de la couleur, du parfum et de la voix du Levant espagnol, avec l'abondance et la bonne odeur d'une jeunesse puissante et virile.

Son visage était le visage de l'Espagne. Taillé par la lumière, ridé comme un champ labouré, avec ce petit côté de franche rudesse du pain et de la terre. Ses yeux brûlants, flambant sur cette surface grillée et durcie par le vent, étaient deux éclairs de force et de tendresse.

Et je vis sortir de ses paroles les éléments même de la poésie, mais modifiés par une nouvelle grandeur, par un éclat sauvage, par le miracle du vieux sang transformé en descendance. J'affirme que dans ma vie de poète, et de poète errant, il ne m'a jamais été donné d'observer un phénomène semblable de vocation et d'électrique savoir verbal".

(Pendant la guerre civile après le coup d’État de Franco ) "Federico avait été assassiné à Grenade. Miguel Hernandez, de chevrier, s'était transformé en verbe militant. Dans son uniforme de soldat, il récitait ses vers en première ligne.

(...) Miguel Hernandez chercha à se réfugier à l'ambassade du Chili qui durant la guerre avait accueilli une quantité énorme de franquistes: quatre mille personnes. L'ambassadeur, Carlos Morla Lynch, qui se prétendait pourtant son ami, refusa l'asile au grand poète. Au bout de quelques jours, Miguel était arrêté et emprisonné. Il mourut de tuberculose, dans son cachot, sept ans plus tard. Le rossignol n'avait pas supporté sa captivité". source

Voir les commentaires

Rédigé par caro et hobo

Publié dans #Aragonite

Repost0

Publié le 3 Décembre 2022

 

Peut-être demain les poètes demanderont ils

Pourquoi n’avez-vous pas célébré le charme des filles ;

Peut-être demain les poètes demanderont-ils

Pourquoi vos poèmes 

Etaient-ils de longues avenues par où surgissait la colère en

Flammes ?

 

Je réponds que de tous côtés on entendait les pleurs,

De tous côtés nous encerclait un mur de vagues noires.

La poésie allait-elle être

Une colonne solitaire de rosée ?

 

Quand elle devait être un éclair incessant.

 

Je vous le dis :

Tant que quelqu’un ici-bas souffrira,

La rose ne pourra pas être belle ;

Tant que quelqu’un regardera le pain avec envie,

Le blé ne pourra pas trouver le sommeil ;

Tant que les mendiants pleureront de froid dans la nuit,

Mon cœur ne pourra pas sourire.

 

Tuez la tristesse, poètes.

Tuons la tristesse en la rouant de coups de bâton.

Il existe des choses plus importantes

Que de pleurer l’amour des soirées perdues ;

La rumeur d’un peuple en éveil

Est plus belle que la rosée.

Le métal flamboyant de sa colère

Est plus beau que la lune.

 

Un homme vraiment libre

Est plus beau que le diamant.

 

Parce que l’homme s’est réveillé

Et que le feu a fui sa prison de cendre

Pour incendier le monde où sévit la tristesse.

 

Manuel Scorza (Les imprécations, 1955, traduction de Claude Couffon)

 

Voir les commentaires

Rédigé par caro et hobo

Publié dans #Aragonite, #Echo de poète

Repost0

Publié le 4 Octobre 2022

(...)
La poésie est le pédalier d'un rutilant vélo. En elle chacun grandit. Les chemins sont blancs. Les fleurs parlent. De minuscules fillettes surgissent à tout moment de leurs pétales. Cette excursion n'a pas de fin (.....)

Andréas Embirikos (La tresse d'Altamira) traduction Jacques Lacarrière

Les chemins sont blancs

Je ne peux décemment, sur un texte si beau, déflorer son aura et me laisser, aller, minuscule fillette sur les chemins blancs, même si, il y a des fleurs partout.

Je vous laisse donc avec cette merveilleuse définition de la poésie.

Voir les commentaires

Rédigé par caro et hobo

Publié dans #Aragonite

Repost0

Publié le 20 Septembre 2022

J’ai le privilège des yeux. Poème en l’honneur de Pablo Neruda

 

Je n’ai jamais vu le vol du condor

Au-dessus de la cordillère enneigée

Au-dessus de ta petite patrie à la hanche mince

Ni le copihué fleurir dans la forêt araucane

Ni l’araucaria araucan qui fait tomber ses fruits

Pour soutenir la lutte des Mapuche

 

Sinon, à travers tes yeux

Sinon, à travers tes mots

Sinon, à travers ta poésie

 

Tes yeux tes mots ta poésie

Jamais

Ne

Me

Manquent

Car

Toujours

Ils m’

Accompagnent :

 

Je vis dans la maison des odes.

 

J’en prends de la graine

Une graine en français, traduite

Puis une graine castillane, officielle

Je navigue dans deux langues

Comme une embarcation

Sur le rio Mapocho

 

J’ai la persévérance des elfes

Quand la poésie se tresse en des lianes

Pavoisées

Que la brume se lève sur des mots encore non dits

Que les métaphores sonnent

Faux

 

J’ai l’insistance des rêves

Comme un marteau trop tôt

Asséné sur l’enclume de la vérité

Je ne veux pas reculer l’étain

S’il n’a pas été encore

Affranchi

 

Ta voix m’élève au-dessus de l’océan

Et ton cœur me guide

Pas à pas

Tu es un compagnon de route

Je ne t’ai pas choisi

C’est toi

Qui m’a

Un jour

Choisie

M’envoyant un

Croche-pied

Je ne suis pas tombée sinon

Dans la soupe de la muse

Peut-être la tienne

Me l’as-tu prêtée car

Je ne sais d’où elle vient ?

 

Elle s’est habituée à moi

Attends que l’heure du poème sonne

Non pas sur la plage de l’Ile Noire

Comme elle aimerait,

Se laissant guider par les formes

Dessinées

Dans

Le sable

Et par le chuintement chaud de l’écume

Déposée dans des bras d’algues fières

La muse me fait confiance

Elle sait

Que même coite

La poésie en moi continue de naviguer

Frêle esquif qui se balance comme balayé

Par les tempêtes du moment

Cherchant son cap

Cherchant comment ramer

Car la voile trop fine

Un jour

S’est déchirée

Guidée par le tableau toujours émouvant

Des étoiles

Par les vols puissants des oiseaux marins

Maîtres des cieux et des océans

Je navigue à vue

Ne cherchant même pas une île

Mais un démon

Ou bien

Une figure de proue peut-être

Abandonnée sur un tronc d’arbre si vieux,

Ballotté

Depuis tant d’années

Par les flots

Avec sa figure qui s’accroche comme une désespérée

Avec son sourire

Avec ses dents toujours blanches

Et

Une chevelure

D’écume jamais délavée

 

Je te parle et tu me réponds

Par poésie interposée

Il n’est pas terminé

Le chemin poétique qui nous unit

Je n’ai pas encore puisé au plus profond

De ton verger tellurique

Ni dans la grande classe prolétaire

Qui ne fait pas rimer le vent et l’air

Mais l’homme et l’oiseau

L’arbre et le blé

 

Je ne suis que petite poésie

Qui tient toujours ta grande main

Généreuse et prospère

 

Je ne suis que petite apprentie

D’automne

Ou bien

D’hiver

Qui chevauche auprès de l’automne et de toi, cavalier

Dans les sous-bois où gémissent

Les derniers alerces

Où les pics tambourinent en morse des SOS

 

J’ai le privilège des yeux

La chaleur chilienne des mots

La plume féconde de la poésie

Ces choses que tu m’as léguées

Malgré toi ?

 

Carole Radureau (20/09/2022)

 

Voir les commentaires

Rédigé par caro et hobo

Publié dans #Aragonite

Repost0