Le caillou veut être lumière. Il fait luire en l'obscurité des fils de phosphore et de lune. Que veut-il ? se dit la lumière, car dans ses limites d'opale elle se retrouve elle-même et repart. Federico Garcia Lorca
Pas le coeur à écrire en ces moments de terreur que vit notre pays, en cette journée anniversaire de l'un de mes poètes compagnons de route, je préfère lui rendre hommage, lui qui écrivait à l'encre de son coeur et dont ses tripes n'étaient pas non plus bien loin de l'affaire. Mort dans les geôles fascistes......te recuerdo, Miguel.
D'où que tu es, donne-nous la force nécessaire à ce qui vient.
.....Miguel Hernandez.......
Assis sur les morts
Qui en deux mois se sont tus,
J’embrasse des chaussures vides
Et j’empoigne rageusement
La main du cœur
Et l’âme qui le maintient.
Que ma voix monte sur les monts
Et descende à la terre et tonne
C’est cela que demande ma gorge
Dès maintenant et depuis toujours.
Approche-toi de ma clameur
Peuple du même lait que moi,
Arbre qui avec tes racines
Emprisonné me tiens,
Parce que je suis ici pour t’aimer
Et je suis là pour te défendre
Avec le sang et avec la bouche
Comme deux fusils fidèles.
Si je sortis de la terre
Si je suis né d’un ventre
Malheureux et avec la pauvreté,
Ce ne fut que pour devenir
Rossignol des malheureux
Echo du mauvais sort
Et pour chanter et parler sans cesse
A qui se doit de m’écouter
De tout ce qui se réfère
Aux peines, aux pauvres et à la terre.
Hier s’est réveillé le peuple
Nu et sans rien à se mettre,
Affamé et sans rien à manger
Et en ce jour il se réveille
Justement orageux
Et sanglants avec justice.
Dans sa main les fusils
Veulent devenir des lions
Pour en finir avec les fauves
Qui l’ont été tant de fois.
Même si les armes te manquent,
Peuple de cent mille pouvoirs,
Que tes os ne défaillent pas,
Châtie celui qui te blesse à mort
Tant qu’il te reste des poings,
Des ongles, de la salive, et qu’il te reste
Du cœur, des entrailles, des tripes,
Des organes virils et des dents.
Brave comme le vent brave,
Léger comme l’air léger,
Assassine celui qui assassine,
Abhorre celui qui abhorre
La paix de ton cœur
Et le ventre de tes femmes.
Qu’on ne te blesse pas de dos,
Vis face à face et meurs
Avec la poitrine face aux balles,
Large comme les murs.
Je chante avec la voix en deuil,
Mon peuple à moi, pour tes héros :
Tes angoisses comme les miennes,
Tes infortunes qui possèdent
Les pleurs du même métal,
Les peines de la même tempérance,
Et du même bois
Ta pensée et mon front,
Ton cœur et mon sang,
Ta douleur et mes lauriers.
Cette vie me semble
L’antichambre du néant.
Je suis ici pour vivre
Tant que l’âme résonne en moi,
Et je suis ici pour mourir,
Quand l’heure me viendra,
Dans les sources du peuple
Dès maintenant et depuis toujours.
La vie est faite de plusieurs gorgées
Et la mort n’en a qu’une seule.
Paru dans Mon sang est un chemin, traduction de Sara Solivella et Philippe Leignel
Pablo Neruda consacre un chapitre de ses Mémoires J'avoue que j'ai vécu à Miguel Hernandez et à la rencontre lumineuse qu'il a eu avec lui:
" A peine arrivé à Madrid, et devenu comme par enchantement consul du Chili dans la capitale espagnole, je connus tous les amis de Garcia Lorca et de Rafael Alberti. Ils étaient nombreux. Quelques jours plus tard, j'étais un poète de plus parmi les poètes espagnols. Ce qui ne nous empêchait pas, Espagnols et Américain, d'être différents. Cette différence, naturelle, entre nous, les uns l'affichent avec orgueil, et les autres, par erreur.
Les Espagnols de ma génération étaient plus fraternels, plus solidaires et plus gais que mes compagnons d'Amérique latine. Pourtant, je pus constater en même temps que nous étions plus universels, plus au courant des langages et des cultures. Peu d'Espagnols parlaient une autre langue que la leur. Lorsque Desnos et Crevel vinrent à Madrid, je dus leur servir d'interprète pour qu'ils se comprennent avec les écrivains espagnols.
L'un des amis de Federico (Garcia Lorca) et de Rafael (Alberti) était le jeune poète Miguel Hernandez. Quand nous fîmes connaissance, il arrivait en espadrilles et pantalon de velours côtelé de paysan de ses terres d'Orihuela, où il avait gardé des chèvres. Je publiai ses vers dans ma revue Cheval vert: le scintillement et le brio de son abondante poésie m'enthousiasmaient.
Miguel était si campagnard qu'il se déplaçait entouré d'un halo de terre. Il avait un visage de motte de glaise ou de pomme de terre qu'on arrache d'entre les racines et qui conserve une fraîcheur de sous-sol. Il vivait et écrivait chez moi. Ma poésie américaine, avec ses horizons nouveaux, ses plaines différentes, l'impressionna et le transforma.
Il me racontait des fables terrestres d'animaux et d'oiseaux. Cet écrivain sorti de la nature était comme une pierre intacte, avec une virginité de forêt, une force et une vitalité irrésistibles. Il m'expliquait combien il était impressionnant de coller son oreille contre le ventre des chèvres endormies. On entendait ainsi le bruit du lait qui arrivait aux mamelles, la rumeur secrète que personne d'autre que lui, le poète-chevrier, n'avait pu surprendre.
D'autres fois il me parlait du chant du rossignol. Le Levant espagnol, son pays d'origine, était rempli d'orangers en fleur et de rossignols. Comme au Chili ce chanteur sublime n'existe pas, ce fou de Miguel voulait recréer pour moi dans sa vie même l'harmonie de son cri et son pouvoir. Il grimpait à un arbre de la rue, et du plus haut des branches, sifflait ou gazouillait comme ses chers oiseaux natals.
(...) Le souvenir de Miguel Hernandez ne peut se détacher des racines de mon cœur. Le chant des rossignols d'Orihuela, leurs tours sonores érigées dans la nuit parmi les fleurs d'oranger, étaient pour lui une présence obsédante et constituaient une part du matériel de son sang, de sa poésie terrestre et rustique, dans laquelle se fondaient tous les excès de la couleur, du parfum et de la voix du Levant espagnol, avec l'abondance et la bonne odeur d'une jeunesse puissante et virile.
Son visage était le visage de l'Espagne. Taillé par la lumière, ridé comme un champ labouré, avec ce petit côté de franche rudesse du pain et de la terre. Ses yeux brûlants, flambant sur cette surface grillée et durcie par le vent, étaient deux éclairs de force et de tendresse.
Et je vis sortir de ses paroles les éléments même de la poésie, mais modifiés par une nouvelle grandeur, par un éclat sauvage, par le miracle du vieux sang transformé en descendance. J'affirme que dans ma vie de poète, et de poète errant, il ne m'a jamais été donné d'observer un phénomène semblable de vocation et d'électrique savoir verbal".
(Pendant la guerre civile après le coup d’État de Franco ) "Federico avait été assassiné à Grenade. Miguel Hernandez, de chevrier, s'était transformé en verbe militant. Dans son uniforme de soldat, il récitait ses vers en première ligne.
(...) Miguel Hernandez chercha à se réfugier à l'ambassade du Chili qui durant la guerre avait accueilli une quantité énorme de franquistes: quatre mille personnes. L'ambassadeur, Carlos Morla Lynch, qui se prétendait pourtant son ami, refusa l'asile au grand poète. Au bout de quelques jours, Miguel était arrêté et emprisonné. Il mourut de tuberculose, dans son cachot, sept ans plus tard. Le rossignol n'avait pas supporté sa captivité". source
Il tutoie l’Ili qui descend des montagnes du Xinjiang en Chine
Il tutoie la rivière Karatal.
Nul émissaire.
Le lac est un espace fermé.
Eau douce à l’ouest
Un peu plus de sel à l’est :
Au centre un détroit divise les deux.
Le lac s’assèche.
Il ne tutoiera peut-être plus les anges
Qui ne volent plus déjà,
Au-dessus de lui
Ils ont voulu installer sur ses rives toutes les misères du monde
Ils ont voulu, sûrement l’ont pu puisque voilà :
Les conséquences.
Nul hasard, nul hasard en la demeure des lacs,
Surtout les lacs
Sans émissaire.
Grande beauté
Vue du ciel
Un tableau de Monet brisé par la glace et les frimas
Le lac des impressionnistes
Qui glisse tel un serpent
Entre les mottes desséchées
Sous les déchets des hommes
Avec sa beauté toute naturelle
Sa grandeur.
Je ne chanterais pas la fin des eaux
Mais leur avenir
Je ne chanterais pas le vrai du faux
Plutôt la renaissance
Ou plutôt l’évidente adaptation
De ce qui renaîtra après nous,
Sous une autre forme
D’une grande richesse.
Carole Radureau (20/03/2023)
Vu de l'espace, le delta du fleuve Ili à son arrivée dans le lac Balkhach contraste fortement avec les déserts beiges du sud-est du Kazakhstan. Lorsque l'Operational Land Imager (OLI) de Landsat 8 a acquis cette image en couleurs naturelles le 7 mars 2020, le delta commençait tout juste à se débarrasser du froid de l'hiver. Alors que de nombreux lacs et étangs du delta étaient encore gelés, la glace du lac Balkhash se brisait, révélant des tourbillons de sédiments et le lit sablonneux peu profond de la partie occidentale du lac. Sur la partie orientale plus profonde, la glace a persisté jusqu'à la dernière semaine de mars. Le vaste delta et l'estuaire - encore brun foncé sur cette image grâce aux rudes hivers de l'Asie centrale - est néanmoins une oasis de vie toute l'année. Par NASA Earth
Par NASA — http://eol.jsc.nasa.gov/sseop/EFS/photoinfo.pl?PHOTO=STS039-85-E, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=31195824
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