Publié le 31 Août 2013
......Nos poèmes doivent distinguer avant tout le monde l'ennemi qui approche.......
Mes frères,
couplés au bœuf décharné, nos poèmes
doivent pouvoir labourer la terre,
pénétrer jusqu’au genou
dans les marais des rizières,
poser toutes les questions,
rassembler toutes les lumières.
Telles des bornes kilométriques, nos poèmes
doivent distinguer avant tout le monde
l’ennemi qui approche,
battre le tam-tam dans la jungle.
Et jusqu’à ce qu’il ne reste plus sur terre
un seul pays captif, un seul prisonnier,
ni dans le ciel, un seul nuage atomisé,
tout ce qu’ils possèdent,
leur intelligence et leur pensée, toute leur vie,
pour la grande liberté, nos poèmes.
Nazim Hikmet
****************************
NAZIM
Quand le géant reviendra-t-il ?
L’amour des hommes est en exil
Toi Nazim, le frère des hommes
Quand reviendras tu embrasser
Cet arbre qui même à l’automne
Porte les fruits de cette terre
Que tu n’as jamais retrouvé
Lorsque nos pleurs furent mis en perce
Par les bâtisseurs de prison
Il suffisait d’une simple averse
Pour que la nuit devienne tendresse
Par la blancheur d’un doux flocon
Les soutes de l’Anatolie
Grondent d’un chant de pionnier
Donnant des yeux de renoncule
A des milliers de prisonniers
Afin d’ étoiler leurs cellules
Après l’angoisse des soirs pendus
L’aube renait comme une évidence
la naïveté se fait vaillance
L’enfance devient une vertu
Pour remordre tout ces fruits perdus
Bien des questions philosophiques
Résonnent dans le creux de tes mots
Scorpion qui tue, mouton qu’abdique
Mais dans le miroir d’un ruisseau
L’homme redeviendra-t-il beau ?
Les bombes seront toujours immondes
Elles donnent la patte aux idées courtes
Toi tu offres aux enfants du monde
une terre ronde comme une yourte
Tes fils ont les amours fécondes
Ton sourire est invitation
A planer sur l’immensité
Et effleurer du bout des ailes
Les épis de la liberté
De ces grands champs en floraison
Tes yeux bleus se rouvriront-ils ?
L’humanité est en exil
Hobo-Lullaby
**************************************************
La rose ottomane
Les mots du poète
Raison d’être
Fusent
Projectiles rimés
Des prisons d’acier
La rose ottomane
Aux pétales diaphanes
Argumente
Les pensées aimantes
De Nazim à l’âme pure
Qui jamais n’épure
Son cœur généreux
Les mains qui caressent
Volonté d’ivresse
La bouche décidée
A ne mots garder
Les liens qui se tissent
Solides et complices
Baume d’amitié
Contre maux glacés
Le rubis de son cœur
Émouvante rougeur
Ardente ferveur
Dans les vers
De la pierre
Grave la poésie
De l’homme averti
Le sable du désert
Le sang qui se perd
L’injustice criée
Du poète enfermé
Jamais ne vaincrons
L’aigle volontaire
Qui tient dans ses serres
La clé
Lovée
Camouflée
Bien au chaud gardée :
Matrice de l’humanité.
Carole Radureau (16/08/2013)
***************************************************
........Oui, Nazim était un grand jour doré.......
Qu’avons-nous perdu vous et moi,
quand Nazim Hikmet est tombé comme une tour,
comme une tour bleue qui s’écroule ?
Il me semble parfois
que le soleil s’en est allé avec lui qui était le jour,
oui, Nazim était un grand jour doré
qui remplit son devoir de renaître à chaque aube
malgré les chaînes et les châtiments :
Adieu, lumineux compagnon !
Délicieux Savitch entre Saint-Basile
et les maisons nouvelles de l’Aéroport,
ou dans le quartier d’Arbat, mystérieux encore,
transvasant mon vin chilien, le versant
dans la peau de tambour de son langage.
Savitch, avec toi s’est perdue
l’abeille d’or
qui créa le miel de ma ruche !
Mon doux ami, limpide camarade !
Pablo Neruda (La rose détachée)
****************************************
........Vos mains qui cachent sous leur peau rude l’affection et l’amitié.......
Vos mains graves comme les pierres,
tristes comme les airs chantés dans les prisons,
lourdes, massives comme des bêtes de somme,
vos mains qui ressemblent au visage chagrin des
gosses affamés !
Vos mains légères, habiles comme les abeilles,
chargées comme les mamelles de lait,
courageuses comme la nature,
vos mains qui cachent sous leur peau rude l’affection
et l’amitié.
Notre planète ne tient pas entre les cornes d’un bœuf,
elle tient entre vos mains.
Ah les hommes, nos hommes à nous,
on vous nourrit de mensonges,
alors qu’affamés
il vous faut du pain, de la viande.
Vous quittez ce monde aux branches lourdes de
fruits
sans avoir mangé une seule fois une nappe blanche.
Ah les hommes, nos hommes à nous,
surtout ceux d’Asie, d’Afrique,
du Moyen et du Proche-Orient,
des îles du Pacifique,
et ceux de mon pays,
c’est-à-dire plus de soixante-dix pour cent des
hommes,
vous êtes indifférents, vous êtes vieux comme vos
mains,
vous êtes curieux, admiratifs, vous êtes jeunes comme
vos mains…..
Ah les hommes, nos hommes à nous,
mon frère d’Espagne ou d’Amérique,
tu es alerte, tu es audacieux,
et tu oublies vite, comme tes mains,
tu te laisses abuser, comme tes mains
tu te laisses vite avoir….
Ah les hommes, nos hommes à nous,
si elles mentent les antennes,
si elles mentent, les rotatives,
s’ils mentent, les livres,
s’ils mentent, l’affiche, l’avis sur la colonne,
si elles mentent sur l’écran,
les jambes nues des filles,
si la prière ment,
si elle ment, la berceuse,
s’il ment, le rêve,
s’il ment, le violoniste dans le cabaret,
s’il ment le clair de lune
dans les nuits de nos jours désespérés,
si elle ment, la voix,
si elle ment la parole,
si tout le monde et toutes les choses mentent
à l’exception de vos mains,
c’est pour qu’elles soient dociles comme l’argile
aveugles comme les ténèbres,
idiotes comme le chien du berger,
et pour que ne se révoltent pas vos mains,
et pour que ne finisse pas cette tyrannie,
ce règne du trafiquant,
en ce monde où la mort nous attend,
en ce monde où il ferait si bon vivre…..
Nazim Hikmet 1949
( Il neige dans la nuit et autres poèmes, traduction Munevver Andaç et Guzine Dino)
*****************************************