L'effort humain

Publié le 28 Juin 2020

C'était en 2012, un commentaire de Serge sur le poème J'ai de Nicolás Guillén.

En relisant ces deux textes je me rends compte comme ils collent à l'actualité, à ce que le monde vit, ici et maintenant.

J'ai eu envie qu'ils soient, J'ai (Tengo) ma traduction de Guillén et L'effort humain de Prévert sur ce blog dédié à la poésie qui a du sens, qui est comme la chanson non crétinisante (je suis drôlement culottée d'écrire cela, quelle vantardise direz-vous).

Et c'est parce qu'ici on aimait bien en 2012 faire la joute des poèmes et ça fait du bien de se pencher sur la poésie pour y séparer le bon grain de l'ivraie.

Merci aux @migos de ce blog.

Oeuvre de Fernand Léger

 

"Quand nous parlons nous entendons

La vérité des charpentiers

Des maçons des couvreurs des sages

Ils ont porté le monde au-dessus de la terre

Au-dessus des prisons des tombeaux des cavernes

Contre toute fatigue ils jurent de durer"

Paul Éluard : Les Constructeurs.

À Fernand Léger

 

L’effort humain
n’est pas ce beau jeune homme souriant
debout sur sa jambe de plâtre
ou de pierre
et donnant grâce aux puérils artifices du statuaire
l’imbécile illusion
de la joie de la danse et de la jubilation
évoquant avec l’autre jambe en l’air
la douceur du retour à la maison
Non
l’effort humain ne porte pas un petit enfant sur l’épaule droite
un autre sur la tête
et un troisième sur l’épaule gauche
avec les outils en bandoulière
et la jeune femme heureuse accrochée à son bras
L’effort humain porte un bandage herniaire
et les cicatrices des combats
livrés par la classe ouvrière
contre un monde absurde et sans lois
L’effort humain n’a pas de vraie maison
il sent l’odeur de son travail
et il est touché aux poumons
son salaire est maigre
ses enfants aussi
il travaille comme un nègre
et le nègre travaille comme lui
L’effort humain n’a pas de savoir-vivre
l’effort humain n’a pas l’âge de raison
l’effort humain a l’âge des casernes
l’âge des bagnes et des prisons
l’âge des églises et des usines
l’âge des canons
et lui qui a planté partout toutes les vignes
et accordé tous les violons
il se nourrit de mauvais rêves
et il se saoule avec le mauvais vin de la résignation
et comme un grand écureuil ivre
sans arrêt il tourne en rond
dans un univers hostile
poussiéreux et bas de plafond
et il forge sans cesse la chaîne
la terrifiante chaîne où tout s’enchaîne
la misère le profit le travail la tuerie
la tristesse le malheur l’insomnie et l’ennui
la terrifiante chaîne d’or
de charbon de fer et d’acier
de mâchefer et de poussier
passée autour du cou
d’un monde désemparé
la misérable chaîne
où viennent s’accrocher
les breloques divines
les reliques sacrées
les croix d’honneur les croix gammées
les ouistitis porte-bonheur
les médailles des vieux serviteurs
les colifichets du malheur
et la grande pièce de musée
le grand portrait équestre
le grand portrait en pied
le grand portrait de face de profil à cloche-pied
le grand portrait doré
le grand portrait du grand divinateur
le grand portrait du grand empereur
le grand portrait du grand penseur
du grand sauteur
du grand moralisateur
du digne et triste farceur
la tête du grand emmerdeur
la tête de l’agressif pacificateur
la tête policière du grand libérateur
la tête d’Adolf Hitler
la tête de monsieur Thiers
la tête du dictateur
la tête du fusilleur
de n’importe quel pays
de n’importe quelle couleur
la tête odieuse
la tête malheureuse
la tête à claques
la tête à massacre
la tête de la peur.


 L’effort humain - Extrait de  Paroles, Jacques Prévert

Rédigé par caro et hobo

Publié dans #Aragonite

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H
puisqu'il faut toujours faire des mises à jour sur internet et ailleurs ...<br /> le dirais juste : bien joué ! ;)
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C
J'ai été heureuse de me replonger dans ce texte en commentaire et dans le poème de Guillén. Tu vois, le temps passe mais les choses restent les mêmes. Sûrement cela changera-t-il avec un cycle bien plus long dans lequel ne compte pas une vie d'homme.