Souvenirs d’enfance : Les figues du voisin
Publié le 16 Janvier 2019
Par Trew, C.J — http://plantillustrations.org/illustration.php?id_illustration=58571&language=English, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=22318968
C’était un jardin
Abandonné
Il était autrefois celui de la sœur de mon arrière grand-mère
Nous n’avions pas le droit d’y aller
Derrière le grillage
Il y avait un endroit caché propice aux imaginations
Il y avait un lieu propice aux aventures
Il y avait un endroit
Sombre
Sombre
Jardin
Envahi par la végétation
Un dédale de lianes, de fruits
De branches,
De feuilles,
A dominante verte tirant sur le noir.
Les chattes aimaient y nicher leurs petits
Ils étaient à l’abri des mauvaises intentions
Elles les ramenaient une fois qu’ils étaient grands
Et c’était l’invasion.
Il y avait dans cet embrouillamini de nature redevenue sauvage
Une maison ébranlée par le temps
On imaginait toute une série d’actions
C’était la maison hantée.
Il y avait aussi des fruits tombés
Sur le sol
Des fruits inconnus
Mous, aplatis, de couleur indéfinie
Jamais nous n’en avions mangés.
Les arbres avaient repris de la vigueur
Les arbres quand ils ne sont plus taillés
Quelle vie que la leur !
Ils s’expriment à n’en plus pouvoir
Ils envahissent l’espace
Ils s’insèrent partout où c’est possible
Ils deviennent
Des géants.
Ces fruits-là pour la petite fille que j’étais
Représentaient une énigme
Je savais qu’on les appelait figues
Je n’ai su que bien plus tard à l’âge adulte
Qu’ils se mangeaient.
En Normandie les figuiers devaient être rares
Je ne sais qui avait plantés ceux-là
Un jardinier érudit
Un ancêtre qui avait la main verte
Un connaisseur !
Loin des pommes normandes
Des fruits rouges du jardin
Loin des fruits communs
De ceux que l’on trouve sur les étals
Ces figues me semblaient irréelles
Intouchables
Incroyables
Pas ragoutantes
Mais attirantes.
Plus tard je fis mon baptême de la figue en Provence
Plus tard je découvris que les figues fraîches c’est bon
Plus tard j’osais m’en procurer
Plus tard je prélevais dans les gorges du Verdon
Un rejet de figuier :
C’est mon arbre de vie
Il a grandi
Je l’ai trimballé en cité
Il a fait semblant de périr mais j’ai insisté
Il a profité du potager
De l’eau à ses pieds
Maintenant il ombre la piscine
Il s’est démultiplié
Il faut le tailler, le tailler
Quel bel arbre il fait !
L’automne dernier il a donné des fruits mangeables
Pour la première fois
C’est mon arbre de vie
Il est sauvage
Non greffé
Si je l’ai choisi c’est pour cela
Pour son feuillage
Son parfum de bohême mûrie par la liberté
Si je l’ai choisi
Qui sait
C’est en me souvenant des figues de mon enfance
De ses filles-fruits perdues dans le jardin abandonné
Tous ces fruits perdus comme un gâchis de tartes livrées à elles-mêmes.
Je suis devenue la reine de la tarte aux figues.
Carole Radureau (16/01/2019)